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 Pablo Agũero par Livres-Addict.fr 

"Salamandra" de Pablo Agũero

image_salamandraC'est un film rêche et revêche. Une folie duelle zébrée d'éclairs noirs, semée d'enchantements abrupts. C'est un film à hauteur d'enfant, à hauteur d'enfance avec tout ce que l'enfance recèle de beautés exténuantes et coupantes cruautés.

La première scène saisit, déroute et donne le ton de ce récit bancal et éclaté, composé d'éclats nus, discontinus, de sensations bouillantes et glaciaires : on y voit un tout petit garçon dans son bain, on assiste très longuement au bain, il ne se passe presque rien sinon que l'enfant finit par jouer avec des lettres magnétiques disposées au mur, lettres à l'aide desquelles il agence des mots aléatoires qui ne signifient que pour lui. Il ne se passe presque rien et ce rien est le tout de l'enfance: l'instant se confond avec l'éternité, le temps constitue une épaisseur suffisante pour tout remplir à ras-bord.

L'enfant, c'est Inti, un regard sombre, dardé, ardent, regard vacillant mais toujours d'une intensité folle. Ce regard cogneur, instant, de l'enfance sans concessions. Et le corps est frêle, comme tombé du nid mais pareillement armé d'une détermination sans faille.

Nous sommes en Argentine dans les années 60. La jeune mère d'Inti, inconnue de lui et fraîchement sortie de prison, vient le cueillir à l'improviste et l'entraîne au fil d'une errance qui verra ce drôle de couple s'immerger, en Patagonie, dans des communautés hyppies ou mystiques déjantées de tous poils.

Inti s'éveille au premier jour de sa vie nouvelle, allongé sur une paillasse, cerné d'une portée de chatons nouveaux-nés, environné d'une ribambelle d'enfants qui connaissent le même sort insolite et son regard étourdi, interdit, peinant à s'ajuster, dit tout.

Le voilà contraint d'évoluer au millieu d'adultes désaxés et bien souvent défoncés, contraint de s'accommoder de la promiscuité, la crasse et la générale entropie.

imagae_salamandraMais ce qui préoccupe Inti, c'est moins cette anarchie pourtant anxiogène que la relation, ténue et violente à la fois, qu'il s'évertue à établir avec sa drôle de mère. Celle-ci apparaît tout en contraste : visage rude, taillé à coups vifs, au dessin cependant délicat , corps menu et solide à la fois, corps dont on devine qu'il a ployé et s'est marqué sous les coups reçus mais qui conserve une ligne et une allure adolescentes. De même et dans le même temps, on la découvre absolument démunie, proie d'un désarmement total. Elle se récite, comme des mantras, des raisons, argumentaires et systèmes, qui visent à conjurer sa terreur et à rationnaliser le chaos qu'elle abrite.

Cette femme qui éprouve tant de difficultés à vivre, Inti la somme, l'assigne d'un regard fusillant ou de paroles harcelantes. Il l'apostrophe par son prénom, Alba (la nomme plus rarement "maman" et cette alternance sème le trouble), l'interpelle et elle doit lui répondre. Car elle est son répondant sur terre.

Ces deux-là vont danser un envoûtant pas-de-deux. Ils vont s'apprivoiser à coups de regards furieux, de phrases cinglantes, de refus mortifiants opposés par la mère mais aussi de trêves tendres, perplexes, interogatives. Et le petit garçon aura fort à faire car dans cette odyssée invertébrée et cependant toute de chocs et de détonations, ce n'est pas lui le plus perdu des deux.

Pour parer l'incertitude, il se bâtit son propre royaume, son territoire inviolable, il s'agrippe au menues merveilles du quotidien, fait rouler comme des cailloux et chanter les signes qui lui parlent la langue magique et sûre dont il a besoin.

Un premier film chahuté tout en déflagrations, coups de freins, brusques accélérations, cadences folles et interminables étirements.

Une émouvante partition autobiographique.

Un très beau portrait de femme.

Un magnifique portrait d'enfant.

BH 05/10

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