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Expositions

Marie-Paule Nègre à la Maison européenne de la photographie


Marie-Paule Nègre est une humaniste doublée d'une entomologiste. Elle est d'une rare empathie mais c'est aussi un instrument de précision qui enregistre sans faillir ce qui la frappe, la révolte, l'émerveille. Ce qui fait sens et, aussi bien, le défaut de sens, ce qui défie l'entendement. C'est une experte du logos : elle discerne et crée des rapports là où notre œil fatigué et paresseux ne perçoit rien d'autre que le cours ordinaire des choses.

Marie-Paule Nègre est aussi "une réveillée de la vie", elle fait œuvre de vigilance et nous alerte sur ce qui, dans le monde, est blessé au plus profond. Elle scrute les meurtrissures, les zones cicatricielles. Ce dont témoigne la série "femmes en résistance", par exemple, c'est qu'elle est allée, à travers le monde, à la rencontre de femmes voilées, excisées, proscrites et qu'elle les a saisies dans des instants de soulèvement, notamment dans des écoles éphémères, nocturnes et clandestines où leur est dispensé un savoir dont elles sont officiellement spoliées. Elle s'immerge aussi bien parmi les déshérités, les familles soumises à une extrême pauvreté (elle capte leur vie hirsute, leurs habitats branlants, brinquebalés et surchargés, bouffis de manque) que dans la "jet-set", dans les ors noirs et les parades vénéneuses des nativement privilégiés. Et dans une autre série, elle s'essaie à mettre en lumière les rapports que nos corps, urbains et harassés, entretiennent avec l'eau quand ils y plongent et s'y ébattent.

Mais le plus saisissant et le cœur de cette exposition, c'est peut-être la façon dont elle a accompagné et fixé la personnalité singulière et le parcours non moins insolite de sa propre sœur, Mireille Nègre. Née en 1941, Mireille Nègre est une danseuse-étoile qui, à 28 ans, a embrassé la condition de nonne, a élu l'état de carmélite et a passé dix ans recluse, en Vendée, dans le couvent des Visitandines. Après quoi elle est revenue "dans le monde" mais en tant que "vierge consacrée". Et elle a déclaré que, désormais, elle "danserait pour Dieu". Les photos exposées ainsi que la vidéo qui nous est montrée nous donnent à voir une femme d'exception. Car Mireille Nègre est d'une beauté confondante, elle est longiligne, déliée, racée, dotée d'un visage magnifique et elle danse avec une grâce bouleversante. Mais c'est surtout une figure rayonnante : où qu'elle aille et quoi qu'elle fasse (on la voit danser partout, dans les lieux de déshérence ou non), elle resplendit. Elle aurait pu prétendre à un destin médiatique, à une vie de créature convoitée, célébrée, adulée, mais elle a choisi de faire de ses dons multiples une donation et une dédition constantes. Et les images de Mireille Nègre restituent au mot icône son sens plénier. Quelle claque !

BH 07/14

"As sweet as it gets" de Michaël Borremans (Palais des Beaux-Arts - Bruxelles - du 22.02.14 au 03.08.14)

Michaël Borremans est un artiste qui semble se jouer des limites et franchir sans cesse les frontières traditionnellement fixées. Ses toiles, empreintes d'une inquiétante étrangeté, procèdent davantage d'un univers mental très singulier que d'une réalité restituée.


Dans ce royaume intime, se déploient des figures qui ont quelque chose de fantomatique mais qui sont, en même temps, dotées d'une présence saisissante. Les personnages comme les scènes, ont un caractère fantasmatique mais ils produisent simultanément un effet de réel poignant qui saute aux yeux et prend le spectateur en otage.


Ces toiles sont éminemment dramaturgiques mais c'est comme si les scènes étaient éclatées, illisibles, extraites d'une pièce introuvable et indéchiffrable. Ce qui domine, c'est l'impression d'avoir affaire à un univers crypté dont l'auteur se refuse obstinément à nous fournir les clefs.


Le vide, la vacuité sont des dimensions très présentes dans l'œuvre. Les corps, les visages, les objets, se détachent souvent sur fond monochrome sombre. Ils sont comme des apparitions, des présences presque radioactives qui éclairent des espaces désaffectés. Des scènes désertées ou des lieux sinistrés.


Les personnages eux-mêmes semblent soumis à un sortilège, frappés d'immobilité, d'absence stuporeuse, d'irréalité voire de mort. Les détails vestimentaires sont réalisés avec une grande minutie et sont d'une précision presque hallucinatoire. Mais cette hyperprésence paradoxale accuse encore davantage l'absence essentielle des personnages. Lesquels apparaissent, du reste, souvent tronqués, tranchés fragmentés. Borremans affiche également une prédilection pour les personnages représentés de dos. Il y a en particulier, des nuques troublantes. L'énigme et l'opacité sont alors redoublées. Le magnétisme aussi.


Et tout, dans cette œuvre relève du paradoxe : ces personnages si charismatiques paraissent réifiés, manipulés, abattus, frappés à mort. Le sens et la destination, comme toujours différés, nous échappent et cela ajoute à l’envoûtement qui nous saisit. Une œuvre d'une absolue étrangeté, d'une beauté stupéfiante et sans pareille.

BH 06/14


"Extases" d’Ernest Pignon-Ernest (Musée de l’Hospice Comtesse - Lille : 3 avril – 30 juin 2013)

Ernest Pignon-Ernest avoue une fascination de longue date pour les grandes mystiques, les brûlées de l'intérieur. Car le corps est son objet, son projet et il est donc singulièrement requis par celles dont le corps est le lieu du passage, de l’essor vers un au-delà inscrutable. Ces femmes qui ont livré leur vie au divin, qui ont modelé leur corps pour en faire l’articulation visible, sensible, entre l’humain et le sacré, entre le charnel et la transcendance, entre la souffrance et l’extase. C’est de cela dont cette installation rend compte. Ernest Pignon-Ernest met en scène des corps nus, magnifiquement creusés, très esthétiquement ascétiques et décharnés, des corps qui semblent comme écartelés, suppliciés et sur le fil, en lisière entre torture et exultation suprême.

Ce sont des dessins étirés, des représentations verticales réalisées au fusain et il y a là Marie-Madeleine, Angèle de Foligno, Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila, Marie de l’Incarnation, madame Guyon et Hildegarde de Bingen.

Les corps tordus, éperonnés et comme électrocutés sont installés et mis en perspective de façon qu’ils se répondent et s’éclairent les uns les autres et l’éclairage, précisément, progressif et alternatif, met graduellement en lumière chaque corps si bien que chacun devient tour à tour un corps pleinement orgasmique.

C’est d’une force évocatoire intense. Ce qui requiert, c’est l’ambivalence de ces corps cabrés, soulevés, pâmés, enfiévrés. Tenu entre animalité et sainteté, le caractère indécidable de leur expression est de décollement, de béatitude criante et écorchée. C’est une expérience presque suffocante et une chose parfaitement fascinante.



BH 06/13

"L’état du corps" – Immix Galerie – Espace Jemmapes – Agnès Godard, Pauline Lavaugez, Mathilde Le Fur, Maotao, Karine Zibaut

C’est une exposition qui rassemble des œuvres apparemment disparates. Le seul dénominateur commun est le corps que ces capteurs d’images et ces quêteurs de sens scrutent inlassablement.

Il y a d’abord l’approche métaphorique, presque allégorique, de Maotao qui égale le corps à un paysage moiré, vaporeux, hypnotique.

Puis Agnès Godard qui isole, parmi les corps, des fragments expressifs lesquels, sous son objectif, se nimbent de poésie.

Mathilde Le Fur, elle, saisit les corps en apesanteur et elle opère de telle façon qu’ils semblent non seulement acrobatiques, captés en pleine voltige, mais aussi de nature incertaine, mi-céleste, mi-aquatique.

Et il y a surtout l’entreprise saisissante de Karine Zibaut qui s’essaie à de troublantes compositions. Les fragments de corps qu’elle présente sont mêlés d’éléments, de matériaux qui, tout ensemble, les altèrent et les révèlent. On voit, par exemple, des corps attaqués par la rouille, statufiés dans le marbre, d’autres stratifiés dans le métal ou coulés dans un fouillis d’algues… Et le fascinant paradoxe, c’est que tous se découpent et apparaissent presque plus nettement qu’au naturel.

Enfin, il faut saluer l’élan téméraire de Pauline Lavaugez qui a choisi pour champ d’exploration et d’expérience, son propre corps. Elle le mitraille nu, sans trêve et sans complaisance, au travers de polaroïds qu’elle assortit de commentaires (citations, notations spontanées, pensées saisies au vol). Elle mitraille, découpe son corps, le saisit dans tous ses états (et à la limite de la difformité parfois) et le crible de son infatigable questionnement. Elle quête ouvertement, distinctement, l’âme à travers le corps et cette recherche à caractère mystique s’exprime sous une forme alternativement lucide et candide. Touchante, toujours, et d’une coupante sincérité.

Une approche multiple, une constellation fascinante qui imprime une empreinte persistante.

BH 12/12

Expo : Marc Desgrandchamps (Musee d'Art Moderne de Paris)

Marc Desgrandchamps (Musee d'Art Moderne de Paris)Avec Marc Desgrandchamps, on croit d'abord pénétrer dans le champ du connu et même du rebattu : le monde estival des baigneuses livrées aux langueurs et délices des vacances.

Cependant, très vite, un je-ne-sais-quoi nous alerte qui altère cette impression initiale de complète familiarité. C'est variations sur un même thème, c'est, indéfiniment, les déclinaisons des mêmes motifs obsessionnels : paysages maritimes et femmes au bain. La répétition pourrait en soi et seule susciter une sorte de lancinant vertige. Mais il y a autre chose, qui est de l'ordre de "l'inquiétante étrangeté", qui infuse dans les toiles et distillle peu à peu un indéfinissable malaise et une sourde angoisse.

A mesure qu'on avance dans le temps et dans l'oeuvre, les toiles gagnent en épaisseur, en densité, et cela grâce aux jeux de transparences, de surimpressions, grâce aussi aux collages qui apparaissent.

L'inquiétude, l'inquiétant, également, gagnent du terrain : il y a, par exemple, de plus en plus de  femmes sans tête, de corps tronqués.

Ainsi ces paysages, ces corps qui semblent d'abord tout entiers dédiés à la futilité, la légèreté, l'insouciance, le désoeuvrement enjoué, laissent graduellement affleurer la vacuité, le mortel abîme que recèle toute vacance.

Tout, dans cette oeuvre, qui offre une apparence de front uni, est source d'imperceptible et subtile perturbation, à commencer par les corps des femmes coulés dans des formes aussi massives qu'élancées, alliage qui heurte, déconcerte, paraît presque contre-nature et contraint le regard à s'ajuster à quelque chose comme une nouvelle norme ou un modèle hors-normes.

Une captivante découverte.

BH 08/11

"Out of sight"  Ellen Kooi - Institut néerlandais

  (Jusqu'au 22 décembre 2010)

Ellen Kooi nous entraîne sur une pente glissante, au sein d'un univers dangereusement féerique où les envoûtements pourraient bien s'apparenter à des malédictions.

image_ellen_kooiOn est happé autant qu'hypnotisé par ces photos dont la teneur ne se laisse en aucun cas épuiser à la première vision. L'espace est dévoré par des paysages aussi sublimes que perturbés et pertubants. La nature est ici une puissance, et pas des plus amènes, qui impose sa loi. Ciels d'orage, brumes étrangement scintillantes qui invitent à la perdition, forêts irradiées ou inexplicablement penchées, étangs et marais troubles, fascinantes déclinaisons qui sont autant de menaces. Et cette menace qui plane et sourd de partout est précisée par les personnage qui l'estampent et sont la proie des lieux. Ce sont des enfants, la plupart du temps ou des adolescents, et qui paraissent échappés d'un conte de fées cruel, basculé, nucléaire, en voie d'atomisation.

Enfants et adolescents semblent générés par le paysage autant qu'ils en sont la proie. Souvent, ils sont saisis par grappes disséminées et Ellen Kooi joue sur les motifs anxiogènes du nombre, de la répétition, du mimétisme.

Ainsi d'un groupe d'adolescentes prises dans un mouvement de fuite au fond des bois, l'espace étant saturé et barré par les troncs sans fin des arbres et le sol jonché de feuilles mortes qui diffusent un éclat radioactif.

Ces adolescentes, toutes blondes et pareillement vêtues de minijupes plissées, de longues chaussettes (lesquelles magnifient leurs jambes de sauterelles) et de tee-shirts colorés figurent la fantasmatique, fascinante et cauchemardesque déclinaison d'un même modèle. Et celle qui se trouve être la plus proche de nous, tourne vers l'objectif un visage déchiré d'incertitude, tétanisé par l'angoisse.

De même, fleurit dans les marais une inquiétante série d'elfes encapuchonnés de noir. Ou une série de fillettes (toujours quasiment identiques) clairsemées dans la brume.

On peut voir aussi des arbres qui produisent non les divins butins de Cocagne mais des paires de jambes nues qui se balancent insolitement.

Ailleurs encore (toujours dans la même lumière irradiée, crépusculaire), des corps sont ployés ou foudroyés par on ne sait quel phénomène naturel ou surnaturel. On se tient là toujours à la lisière du fantatique, à l'orée du basculement.

Elle Kooi  s'y entend comme personne pour ressusciter nos terreurs archaïques mais ses compositions, à la fois sauvages et soignées sont d'une telle beauté que l'émerveillement l'emporte sur l'effroi. Et ce qui frappe et retient, c'est cet insolite alliage entre les flux les plus inconscients, les plus furieux, débridés et une sophistication extrême.

Une oeuvre d'une rare force de percussion.

BH 12/10

"Protectors" de Sabine Pigalle (Gallerie Bailly Contemporain)

Du 7 mai au 2 juin 2010

38 rue de Seine Paris VI ème

iumage_protectorsSabine Pigalle porte un nom crapuleux et elle se préoccupe de sainteté. Mais les saints qu'elle met en scène sont grimés, poudrés, presque talqués dirait-on et ils sont nus. Savamment dénudés car tout, dans leur nudité, est étudié.

Les corps photographiés semblent figés dans l'éternité, rapatriés depuis un autre espace-temps. Très droits, tout en élancement, d'une verticalité jamais prise en défaut, ils se tiennent là, dans une splendeur et une gloire qu'on dirait immémoriales.

Les corps comme les visages sont sculpturaux, taillés et ciselés au plus près de la perfection. Les sexes sont interchangeables mais chacun des saints présente un symbole qui permet de l'identifier.

Il y a les évidents, les classiques : saint Joseph avec ses outils de charpentier, saint Martin pointant une paire de ciseaux, saint Pierre avec la clef du ciel, saint Sébastien fléché, sanguinolent, saint François d'Assise accru, accompagné d'oiseaux de cire, sainte Cécile avec un phonographe, sainte Véronique exhibant le linge qui a recueilli la sueur du Christ...

Et il y a les inattendus les rares les énigmatiques, les méconnus : sainte Apolline en arracheuse de dents, sainte Dorothée empaumant une pomme sanglante, saint Pantalon (avatar d'Esculape) présentant un coeur fraîchement arraché, saint Bavon en tête à tête avec un faucon...

Des touches d'écarlate colorent et rehaussent l'universelle blancheur et le sacré fait effraction au coeur de (et malgré) toute cette exténuante beauté.

Ces images sont ironiques, hérétiques, érotiques et éthériques. Entre pureté graphique et violence contenue.

Une singulière approche, raffinée, sophistiquée même, mystérieuse, sensuelle et racée.

BH 05/10

"Les dissonances de l'adolescence" Immix galerie - Espace Jemma

C'est une exposition toute en force et en finesse, à l'image du thème traité : l'adolescence.

Certains des artistes qui exposent ne sont guère plus âgés que leurs modèles, ils sont encore, tout ou partie, immergés dans cet âge de turbulences et cela se ressent dans leur approche, dans leurs images. Mais même quand le temps a imposé une distance, on perçoit partout, dans les clichés collectés et soumis à notre appréciation, un intérêt passionné, une vibrante empathie.

image_dissonancesCe sont quatre regards qui se juxtaposent et se téléscopent, quatre approches affirmées, singulières, différentes. Cécile Chaput, tout d'abord, travaille de l'adolescence son caractère de rupture mais de rupture pétulante, fantaisiste, extravagante. Elle renverse ses modèles, les capte dans des poses improbables, cocasses, outrées, outrageusement sexy et provocatrices. Elle joue avec les modèles, les archétypes de fatale Lolita et nous amuse beaucoup au passage sans, pour autant, rien céder de son exigence esthétique.

Sandrine Derym, quant à elle, met les adolescentes en lumière mais sans nulle mise en scène, au plus près de leur intégrité, dans leur quotidienneté et leur intimité prises sur le vif.

Le seul homme de l'exposition, Eric Facon, procède encore tout autrement : il a vécu, une semaine durant, en immersion dans un lycée et choisi de s'intéresser au phénomène de bande qui sévit dans l'adolescence. Il a fixé les jeunes gens par grappes vives et gracieuses et il a réussi, à travers des prises au vol, à souligner les rapports de force et de séduction qui ont cours, qui régissent ces groupes tout d'agilité et de mobilité fiévreuse. Interceptant regards et gestes des plus éloquents, il saisit les voltes et les joutes et toute l'intime chorégraphie du désir.

Enfin, Lynn S.K. nous propose des images très travaillées, très sophistiqués, chargées d'un érotisme diffus, empreintes de mystère proches d'une esthétique underground. L'approche est à la fois raffinée et organique, elégamment viscérale.

Quatre regards généreux, fascinés et fascinants sur cet inépuisable "âge des possibles".

BH 04/10

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