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 Pedro Aguilera par Livres-Addict.fr 

"La Influencia" de Pedro Aguilera

InfluenciaC'est un film tout de silence et d'étirements. L'histoire d'une dégringolade, d'un effondrement spectaculaire et qui pourtant s'opère presque imperceptiblement, par paliers organiquement liés entre eux.

Nous sommes en Espagne en compagnie d'une jeune femme qui tient une boutique de cosmétiques et élève seule ses deux enfants (une préadolescente et un petit garçon). Sa solitude est un isolement immédiatement palpable. Radical, aride, excavateur. Peu à peu, elle s'abîme dans une stupeur d'abord animée qui, pas à pas, s'achemine vers l'immobilité. Ce sont chacun de ces pas que filme, sans ménagement, le réalisateur.

La femme et ses enfants sont beaux mais cette beauté qui éclate dans le corps et sur les visages des enfants existe chez leur mère dans une version délavée, éteinte et cette décoloration d'emblée visible signale le processus de désagrégation à l'oeuvre. Pendant un temps, méthodique et mécanique, la jeune femme continue d'accomplir les gestes quotidiens. Dans sa boutique et à la maison, face aux enfants qu'il faut nourrir, surveiller, préparer, elle centre sa vacillation interne en s'ancrant dans la vie matérielle. Les réflexes conditionnés dont office de tuteurs et de sauvegarde. Mais un beau jour les simulacres ne suffisent plus et cette jeune femme déshabité se couche pour ne plus se relever. Au début ses enfants la secouent un peu, ils tentent de la rappeler à ses devoirs et à la vie puis constatant que c'est peine perdue, ils l'abandonnent à sa dérive et la laissent sombrer. Le temps s'écoule, glisse sur cette vie horizontale et la torpeur verse dans l'absence définitive.

 En contrepoint fuse, explosive, la vitalité des enfants qui investissent l'espace laissé vacant par leur mère. Ils prennent possession de l'appartement, l'emplissent d'un joyeux tapage, d'un désordre grandissant, ils repeignent les murs (métaphore des plus parlantes de façon anarchique, les éclaboussant de couleurs chatoyantes. Voyant vivre cette femme, on s'interroge sur les causes de sa faillite. Ce que le réalisateur suggère en filigrane c'est que les causes repérables (elle est licenciée faute d'avoir pu régler le loyer de sa boutique et sa solitude est extrême) n'épuisent pas ce qui relève d'un mystère et dont les racines comme les ressorts sont à rechercher en amont, dans une faille ontologique, une blessure constitutive, une blessure d'outre temps, un inconsolable chagrin. Le tour de force de ce film, c'est qu'il capte la vie au ras des choses, il restitue la dégradation presque en temps réel, rien n'est épargné au spectateur, on assiste à l'enchaînement des gestes les plus quotidiens, on voit comment, insensiblement mais fatalement, la machine s'enraie, las rouages se grippent et c'est comme si on assistait en direct à une extinction avec vue privilégiée sur le ralentissement des fonctions vitales.

Il n'y a rien de tapageur, juste un enlisement progressif. Tout cela est filmé avec un détachement assez stupéfiant, de manière quasi clinique, chirurgicale, et ce procédé qui doue le film d'un effet hypnotique n'enlève rien à l'émotion qui submerge. Un film poignant dont on sort étourdi et sidéré.

BH 05/08
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