Livres-Addict.fr

 AccueilLivres | Films | Expositions | Sites internet

 Louise Bourgeois par Livres-Addict.fr 

"Louise Bourgeois : l'araignée, la maîtresse, la mandarineé" d'Amei Wallach et Marion Cajori

louise_bourgeoisLouise Bourgeois est une guerrière, une croisée. Elle l'affirme, le martèle d'emblée dans le remarquable documentaire que lui ont consacré Amei Wallach et Marion Cajori. Frappante est l'autorité naturelle qui se dégage de ce petit bout de femme. Elle déclare : "Pour être sculpteur, il faut être agressif." et aussi (en substance) : "Quand on n'arrive pas à se débarrasser du passé, on le sculpte". Le documentaire retrace classiquement le parcours de l'artiste mais il offre aussi une large part à sa parole tranchante, cinglante, sans concession, presque comminatoire par moments mais aussi à fleur de peau et d'émotion.

Louise Bourgeois est à la tête d'une oeuvre monumentale, singulière, déroutante, dérangeante et d'une rare puissance. Tous ces motifs conjugués justifient que la reconnaissance lui soit venue tardivement mais aussi qu'elle soit planétaire, universelle, incontestable.

D'une matière biographique saignante, elle tire des formes drues, percutantes, tirées à bout portant, des formes difficilement assimilables. Verre, latex, marbre, un grand nombre de matières sont convoquées pour dire une généalogie aux allures de tragédie grecque mais tout est recréé, recomposée, les sculptures ne sont pas une redite de la vie vécue, elles en sont l'au-delà symbolique, infiniment plus vaste.

De son enfance massacrée, Louise Bourgeois ne s'est jamais remise, ne veut pas se remettre, elle ne veut pas vider la querelle, elle la poursuit mais sous la forme cathartique, rédemptrice de l'oeuvre.

Voici donc la chambre des parents, lieu dramaturgique par excellence, chambre tout entière écarlate, sanglante, autel où s'accomplit le sacrifice de la mère, contrainte par le père de coexister avec sa maîtresse (la bien nommée Sadie) installée à demeure puisqu'elle est aussi et d'abord gouvernante des enfants. La chambre des enfants, elle, est rose idyllique mais il s'en dégage une atmosphère d'oppression qui prend à la gorge. La chambre des enfants est le lieu des larmes et de l'anxiété invasive, inflationnelle.

louise_bourgeoisEt puis il y a toutes les installations aux dimensions impressionnantes, aux formes anguleuses, acérées, contondantes. Et le père qui surgit partout à travers les formes phalliques déclinées à l'infini. La mère, elle, se réincarne dans la mythologie de l'artiste sous la forme surprenante d'une araignée. D'autant plus surprenante que Louise Bourgeois voue un culte à cette femme bafouée mais l'araignée figure à ses yeux l'intelligence rationnelle et l'endurance. "C'est quelqu'un qui peut beaucoup encaisser "souligne-t-elle, bousculant pour étayer ses dires, une installation qui résiste à tous les mauvais traitements et reste ferme sur ses pattes. Et elle ajoute : "J'ai pris la force, l'intelligence logique de ma mère mais hélas aussi la faiblesse de mon père : je me laisse submerger par mes émotions."

Père tortionnaire s'il en fut et qui, alors que sa fille a dépassé la quarantaine, continue de la représenter, à partir de pelures de mandarine sous la forme d'une figure dotée d'un pénis cependant qu'il martèle : "Si au moins ma fille réalisait des oeuvres de cette qualité-là, mais elle n'est de loin pas assez douée !" A l'évocation de ce camouflet, les larmes de Louise Bourgeois, 50 ans après l'incident jaillissent. Séquence poignante.

Au nombre des évocations plus anecdotiques s'inscrit le débarquement des surréalistes aux Etats-Unis (où Louise Bourgeois a passé la majeure partie de sa vie) pendant la guerre. Ce phalanstère d'artistes issus du même terreau qu'elle et qui ne demandaient qu'à l'inclure et l'adouber, elle s'en est d'emblée désolidarisée car tous ces hommes (et notamment André Breton) entraient trop en résonance avec la figure paternelle.

Louise Bourgeois, si elle est une femme meurtrie, n'est pas détruite. Elle rend coup par coup à la matière qu'elle pétrit. Sa colère a près de cent ans d'âge et elle n'est toujours pas éteinte, oui la rage est intacte et la nécessité cathartique est toujours vivace, prégnante. Mais l'artiste prend soin de malmener les matériaux plutôt que les êtres, elle a l'intelligence de déplacer le conflit, de l'amplifier jusqu'à des dimensions universelles.

Portrait d'une femme exemplaire dans toutes les acceptions du terme.

BH 12/09

   © Livres-Addict.fr - Tous droits réservés                                                                                                          | Accueil | Contact |