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  Alain Cavalier par Livres-Addict.fr 

"Irène" d'Alain Cavalier

ireneC'est un film de mémoire éclatée, de mémoire éclatante et sombre. Une mosaïque de petits vitraux doux et tranchants, colorés et décolorés, transparents et opaques et d'une inquiètante étrangeté.

Comme à son habitude, Alain Cavalier récuse l'approche frontale. Il procède à coups de pas chassés timides et déterminés à la fois. Il alterne vives avancées et brusques coups de freins. Le processus est à la fois évolutif et involutif. Il  va intrépidement au-devant de la perte et du drame mais il emploie sa très singulière méthode : plutôt que de se colleter avec l'ombre entière, l'ombre portée, la mécanique  dentée, broyeuse, l'édifice intimidant du passé, il prélève d'infimes particules de réel et il les examine au microscope de son oeil fauve, phosporescent qui perce la coque des apparences.

Il forme le projet de se pencher sur un passé déjà lointain de s'immerger dans le journal intime qu'il tenait au début des années 70 alors qu'il vivait avec une certaine Irène. Irène , son épouse, son amante, son amour, pulvérisée dans sa voiture accidentée au bout d'une vie débutante et elle aussi accidentée.

Alain Cavalier exhume un pan du passé, il évoque et invoque une morte, entreprise qui, toute superstition bue, n'est pas sans danger. Ce n'est pas une pâle Ophélie alanguie qu'il drague au fil de l'eau, c'est une concrétion de chair et de sang qui paraît et lui résiste.

Il filme un processus et ses conséquences ou dégâts collatéraux. Il filme son retour sur les lieux d'avant et aussi la crise de goutte carabinée qui le frappe alors qu'il entreprend de désenfouir le passé. Le corps parle, le corps est engagé et il crie.

Cavalier concentre son attention sur les objets, sur les petites choses, manière de conjurer le vertige qui le saisit, vertige des hauteurs et des profondeurs.

Il cherche aussi une interprète pour incarner Irène. Une qui soit de taille. Une qui ait la présence et le charisme. Il songe un temps, longtemps, à Sophie Marceau qu'il chérit secrètement, dont il a placardé la photo chez lui et qu'il caresse amoureusement, par caméra interposée. Sophie Marceau dont il a obtenu le numéro de portable mais qu'il n'ose contacter...

Il envisage ensuite une jeune fille que le hasard a miraculeusement placée sur sa route. Il la filme : elle est belle, sculpturale, habitée, ses yeux turquoise phosporent et elle a d'amoureux démêlés avec son père mais le cinéaste conclut, en dernier ressort, que nulle ne saurait tenir lieu d'Irène, la place demeurera donc vacante et il continuera de tourner autour d'un vide.

irène2Il la figure, pourtant, à l'aide de traversins et d'oreillers, il nous montre son corps tel qu'il se le rappelle, souple et alangui après l'amour.

Mais qui était donc Irène ? Une transfuge, une fugueuse, une qui voulait inventer sa vie, qui briguait une autre vie, qui s'était carapatée de sa province natale où elle dépérissait dans un milieu délétère et pathogène. C'était aussi une vraie beauté (elle fut même couronnée miss France), les quelques photos que Cavalier consent à filmer sur la fin l'attestent. Sa beauté était de la trempe des très grandes beautés et elle n'était pas sans évoquer Ursula Andress. Mais c'était une beauté fracturée de l'intérieur, elle recherchait la souillure voire se complaisait dans l'abjection, elle avait besoin qu'on la violente et ne se jugeait jamais à la hauteur. La mort rôdait dans son sang, elle était coutumière des tentatives de suicide et Cavalier, s'interrogeant sur ce qui dysfonctionnait entre eux a cette phrase poignante: "Ce qui n'allait pas, c'est qu'elle me demandait tout et que je ne lui demandait rien, seulement d'exister." Il s'impose l'épreuve de revenir sur les lieux du drame et de restituer, flux de mémoire par flux de mémoire, les dernières heures. Il se tenait au premier étage de la villa, elle était dehors, sur le point de s'embarquer pour une virée en voiture, elle le pressait de la rejoindre et lui ne cessait de différer d'un "Attends encore un peu". Gagnée par l'impatience, elle était partie seule et sa voiture en avait percuté une autre au premier carrefour... Et Cavalier redéroule les haures d'attente et d'interrogations qui suivirent la disparition d'Irène.

On apprend aussi, incidemment, qu'il s'apprêtait à tourner un film dont Irène eût été le coeur, le fil rouge, la matière même, un film qui eût enfin prêté une existence à cette fille qui prétendait en avoir si peu et en souffrait au-delà du dicible...

A la fin aucun mystère n'est levé mais il reste des bribes, des lambeaux d'un portrait qui se défait à mesure qu'il se fait. Portrait d'une femme somptueuse mais frappée. Atteinte d'une térébrante difficulté d'être.

Et bien entendu, il s'agit aussi, trébuchant, fragmenté et lacunaire, d'un bouleversant autoportrait.

BH 07/09

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