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 Anton Corbijn par Livres-Addict.fr 

 "Control" d'Anton Corbijn

ControlC'est d'emblée ombreux, cendreux, crépusculaire. C'est un jeune homme légèrement vouté, vitreux, comme atteint dans un centre vital, démuni d'un ressort essentiel que l'on voit, dès les premières images, déambuler un peu hagard dans une rue qui, elle aussi, suinte la tritesse. Ce jeune homme, c'est Ian Curtis (Sam Riley prodigieux d'intensité et de justesse) et la perdition est déjà inscrite dans son corps cassé.

"Control" décrit, en se tenant au plus près des corps, une trajectoire météorique. Les prémisses de l'essor portent déjà la marque funeste de l'écrasement futur.

Pour le jeune, très jeune chanteur, tout va trop vite, trop fort, son corps frêle et vibrant n'est pas préparé, pas apte à composer avec toutes ces violences qui lui sont faites. Il y a d'abord pour Ian Curtis le mariage, prématuré et contre-nature, avec une jeune fille issue de la même banlieue crasseuse que lui. Au mariage va s'ajouter, très vite, la charge tout à fait superflue de la paternité. La jeune femme de Ian (Samantha Morton ahurissante en "housewife" mal fagotée, aussi ingrate que désespérée), parée de quelque séduction au début, s'enlise très vite dans les sables mouvants d'une domesticité qui la dévore et qu'elle ne parvient pas à transfigurer.

Parallèlement, le succès couronne "Joy Division", l'ascension du groupe est fulgurante mais la gloire est pour Ian Curtis fracassante, c'est une charge, là encore, qu'il peine à porter, qui le jette dans un désarroi chaque jour accru. Les exigences des fans-vampires le terrifient. A bout de force il lâche : "Ils ne se rendent pas compte de tout ce que je donne, ils en veulent toujours plus, pour eux c'est un dû". Et puis se déclare l'épilepsie qui le terrasse, le cueille, le fauche trop souvent sur scène et le laisse à chaque nouvelle crise, un peu plus vide, le dénuement se fait chaque fois plus profond. Lors d'une tournée, il rencontre Annick Honoré une jeune journaliste belge (la ravissante et délicate Alexandra Maria Lara). C'est l'amour fou mais au lieu de puiser dans cette passion la force de renaître, Ian Curtis s'enfonce encore un peu plus. Son intégrité ne peut s'accommoder de la duplicité de l'adultère, il vit écartelé, une crise morale aiguë et permanente.

Il se suicidera à l'âge de 23 ans.

Plutôt que de restituer l'histoire de "Joy Division", Anton Corbijn s'est attaché aux pas, au parcours intime et tremblé du seul Ian Curtis. Il colle au corps tout de fractures du jeune homme, il filme avec une extraordinaire acuité le désinvestissement progressif, la raréfaction de ce corps ainsi que les transes éperdues qui le jettent, sur scène, dans une gestuelle effrénée, possédée, désarticulée. La sobre et sombre beauté de l'image en noir et blanc (Anton Corbijn est photographe, spécialisé dans l'immortalisation des groupes rock les plus prestigieux) confère à cette vie tragique une impressionnante noblesse. La beauté est dans l'épure et l'on songe par moments (et bien que la composition soit linéaire et que le film soit de facture beaucoup plus classique et rectiligne) à l'éblouissante noirceur de Philippe Garrel dans "Sauvage innocence" ou "Les amants réguliers".

Sam Riley épouse le personnage au point qu'il n'y a pas un seul interstice qui soit laissé vacant. C'est poignant et superbe. Etrangement, le sombre rayonnement qui baigne le film produit une irradiation continue et porte à l'exaltation bien plus qu'à la tristesse. C'est le mystère de la beauté.

BH 09/07

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