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 Pedro Costa par Livres-Addict.fr 

"Dans la chambre de Vanda" de Pedro Costa

image_vandaPedro Costa est un magicien qui abuse de ses sortilèges. C'est qu'il est affligé d'un mal étrange, il souffre d'une surabondance de dons. Prince des nuées, alchimiste des bas-fonds, prince ailé qui vaque dans les cloaques qu'il éclaire, dont il révèle la beauté brute, il est aussi capable d'une rare empathie qui lui fait saisir les êtres au plus vif, au plus près, dans un rapport d'amour total.

La "chambre de Vanda" est le lieu qui l'aimante, qui cristallise son désir cinématographique. Vanda est une jeune fille camée jusqu'à l'os qui dérive et se désintègre dans l'un des quartiers les plus déshérités de Lisbonne. Pedro Costa nous convie à une immersion de près de trois heures dans sa chambre, haut lieu de la déchéance, sanctuaire dédié à l'héroïne. On la voit avachie, végétative sur sa couche, se droguant en continu en compagnie de sa soeur Zita tout aussi chargée qu'elle. Vanda éructe, crache ses poumons, décline, se vautre mais elle n'est pas seulement une épave, elle a aussi des moments feu-follet au cours desquels on perçoit que cette frêle,cette ultramaigre carcasse ruinée abrite une personnalité charismatique : Vanda a des échanges vifs et affûtés avec sa soeur, elle a des mots frondeurs et incisifs pour ceux qui la réprouvent et prétendent la réformer, elle tance et semonce les encore plus paumés qu'elle et distribue conseils et recommandations. Il y a de rares incursions dans le monde du dehors : Vanda béquillante, tanguante sur ses cannes chétives colporte çà et là des victuailles en échange de quelque menue monnaie.

image_vandaEt il y a une grande part octroyée au silence et un jeu fascinant avec le clair obscur : tout se passe dans la pénombre, celle de la chambre bien sûr mais aussi celle des couloirs, des corridors (filmés magnifiquement, comme des canaux porteurs de flux symboliques et d'innombrables possibles), ces entre-deux, ces espaces vides que Costa présente comme autant d'aires respiratoires, de sas de transition qui confèrent au film une dimension méditative.

Tout est sombre, donc, sordide et terrifiant et pourtant ce qui se dégage de cette plongée, c'est une lumière, un éclat et un espoir extraordinaires. Vanda et Zita se précipitent vers la mort à grande vitesse et cependant elles rayonnent d'une vitalité que peu de gens réputés sains communiquent. C'est l'effet, le miracle, la marque Pedro Costa : il ne filme jamais que le terrible, les fins fonds de ce qu'on présume la bassesse et la misère et il les tire vers des hauteurs sublimes. Tout est ainsi avec lui, tout est retourné comme une peau, tout est sujet à la transfiguration. Et les épiphanies abondent. Pedro Costa est un contemporain capital, un regard cardinal et il n'est pas exagéré de dire qu'il est un génie, l'un des plus grands cinéastes vivants.

BH 11/09

"Ne change rien" de Pedro Costa

image_ne_change_rien_1C'est une figure hantée qui semble émerger de limbes ténébreux voire magnétiquement méphitiques. C'est Jeanne Balibar telle qu'en elle-même, identifiable à la première et rauque et languissante et piquante inflexion de voix et pourtant c'est une Jeanne Balibar méconnaissable car filmée par le sombrissime et possédé et génial Pedro Costa.

Grand sorcier, très exactement magnétiseur, Pedro Costa préside aux envoûtements. Le prince noir Costa exerce ses talents chamaniques, anamorphiques, sur Jeanne non pas l'actrice mais la chanteuse. Jeanne devenant, sous l'oeil de sa caméra, presque la pucelle, la croisée. Jeanne chantante, s'exerçant à chanter, est entourée de muscisiens mais en vérité Pedro et elle sont seul à seule.

Elle, on la reçoit, à la fois dissoute dans la vision somnambulique et surlignée, stylisée par l'image en noir et blanc. On le voit "après la répétition" comme soufflée, ivre de solitude et désaxation. On la voit, pendant la répétition, tenant, reprenant, dix fois, vingt fois, cent fois la même note, obsédante, entêtante, jusqu'à saturation, jusqu'à suffocation et ad nauseam: séquence qui martèle et vrille le crâne, temps suspendu dans l'intenable et interminable réprise, mouvement fixe, calcinant et crucifiant, cadence de forcené, épreuve pour les nerfs surhérissés, delirium tremens qui rend fou... On la voit aussi en pleine volée incantatoire, chantant "La Périchole" et on la saisit, prise en tenaille en plein cours de chant, soumise aux exigences coupantes, harassantes et souvent mortifiantes d'une enragée perfectionniste. Pour autant, jamais elle ne jette l'éponge ni ne s'insurge ni ne se plaint. Elle reprend docilement, inlassablement, le même passage, la même pointe pas tout à fait assez acérée. Jusqu'à ce que sa patience et sa résistance se consument et s'épuisent dans une ultime supplique...

image_balibarC'est ainsi qu'elle est prise et qu'elle apparaît, Jeanne Balibar : tenue et ployant volontairement sous le joug de la nécessité, fondue et brûlée dans une combustion consentie qui la propulse presque dans la sainteté.

 Mais tout est dans ce "presque". Pedro Costa est grand ordonnateur, grand orchestrateur possédé et vampirique et son image vampe et rapte littéralement Jeanne mais Jeanne, en dernier ressort, résiste au happement, à la dissolution totale. Il y a quelque chose en elle qu'on connaît, qu'on reconnaît, une légèreté, une fantaisie, une disposition ludique qui refuse de se laisser enrégimenter, qui défie l'absolue gravité de Costa : elle ne sera pas tout à fait la sainte iconique qu'il désire. C'est une sorte de corrida, un combat de titans et aussi une sarabande amoureuse, une sauvage empoignade glacée, étreinte nue à distance et en noir et blanc.

Et tout cela sans la moindre concession à la facilité, à l'anecdotique, au trivial. Tout cela tenu sur le fil d'une exigence sidérante, d'une austérité sans faille.

Un grand, un très grand film.

BH 06/09

"En avant jeunesse" de Pedro Costa

jeunesseC'est un film dont le prince est un ouvrier lisboète quitté, chassé à grands fracas par sa furie de femme, en transhumance entre son ancien quartier déshérité et son nouveau logement dans un HLM fraîchement construit. Notre homme se prénomme Ventura, c'est un albatros capverdien échoué dans un bidonville, un errant magnifique, une figure presque paradigmatique de roi déchu qui cherche de place en place un coin, un bout de table, un ciel de lit où poser sa silencieuse douleur d'être.

Taiseux, tout en creux, en plaies et bosses rentrées, il va, sombre oiseau cabossé, cherchant refuge auprès d'autres miséreux. Chemin faisant, il rencontre plusieurs éclopés qui l'adoptent et qu'il élit, les déclarant tous unanimement ses enfants.

Observant une réserve respectueuse, il écoute sa progéniture de fortune lui raconter ses déboires. Surtout Vanda, héroïne junkie du précédent film de Pedro Costa. Devenue mère de famille et fraîchement sevrée, elle détaille, prolixe et truculente, ses démêlés avec la misère et sa difficile cure de désintoxication. A l'occasion, Venture se fait lui aussi conteur et il rapporte des épisodes de sa mythologie personnelle. Il ne rentre pas dans le régime de la conversation. Il est ailleurs, au-delà. Du reste, le film est scandé par la diction d'une lettre en partie calquée sur un poème de Robert Desnos, morceau sublime que Ventura s'efforce de faire réciter à l'un de ses "fils" illettré qui veut envoyer une lettre d'amour à son élue.

C'est sur le mode poétique donc que vit exclusivement Ventura, cet homme brisé qui impose sa présence souveraine, sa majesté brisée, son regard opaque, d'une intensité qui magnétise tout alentour. La caméra se tient à une distance pudique des corps et des visages souvent filmés dans la pénombre. Tout est singulier, énigmatique, poignant. Un film sans équivalent, d'une noblesse et d'une beauté sans pareilles.

BH 03/08

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