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  Reha Erdem par Livres-Addict.fr 

"My only sunshine" de Reha Erdem

sunshine1C'est un film sauvage et un film de sauvage. Avec, en son centre, son coeur irradiant, une gamine taiseuse, visage têtu, regard radioactif, bloc de rage et de refus, un diamant brut. Cette toute innervée vit butée contre les cloisons que son front heurte à chaque instant.

Elle a 14 ans et elle grandit quelque part dans une déshérence turque, elle grandit sur l'eau, baraque sur pilotis construite par son père, pêcheur de son état. Elle grandit entre son père affairé à des trafics louches et son grand-père alité, asphyxié, tributaire d'une bouteille d'oxygène et éructant des abominations à chaque salve trébuchante, accidentée du souffle.

La vie de l'adolescente est rythmée par ses périples au fil de l'eau. C'est son père qui la véhicule, journellement, en barque pour que, fleuve traversé, elle puisse rejoindre la terre ferme, l'école, un semblant de vie civilisée.

Mais elle est surtout préposée aux soins du ménage, du grand-père fulminant, hoquetant, et à tous les outrages. De temps en temps, elle va rendre visite à sa mère qui a déserté le foyer nautique pour faire un fils avec un homme soucieux de sa seule garde rapprochée et dont les préoccupations et le champ de vision n'excèdent pas le périmètre de son nombril. Lors de ces visites, la gamine est confinée et consignée sur une méchante chaise ou (dans les jours prodigues et dispendieux) sur le divan. Nul ne lui prête la moindre attention, sa mère étant toujours affairée ailleurs et son beau-père occupé à s'extasier sur son nourrisson de fils qu'il accable de passionnelles et débilitantes démonstrations amoureuses et auquel il jure, métronomiquement, qu'il se sacrifierapour lui. L'adolescente, il ne daigne se souvenir de son existence que pour la houspiller, la réprimander sur son maintien vulgaire, l'écartement par trop large et provocateur de ses jambes sur le canapé...

sunshine2Pour parer à toute cette misère, la presque jeune fille recourt à un silence épais, buté qui la couvre, la fait forteresse imprenable. Elle se refugie aussi dans un fredonnement incessant dont les vertus subjuguantes ont pour office de chasser la réalité importune.

Mais elle vient à manquer de souffle, elle aussi. Proscrite de fait et par les circonstances aggravantes que sont son mutisme et son entêtement, elle est sans alliés. Les filles la dédaignent ou la moquent et, en dépit de sa joliesse, la garçons la fuient. Les rares qui osent se frotter à elle sont repoussés sans ménagement. Elle trouve d'infimes et fragiles havres de paix auprès des prostituées que loue son père, qui l'initient à la séduction rouge et tapageuse et lui prodiguent un succédané de tendresse. L'une d'elles, flétrie, rassise, ayant dépassé la date de péremption, débordante de chair et d'affection, l'accable de mignardises et l'entoure de soins visqueux qui débordent le cadre de la maternité substitutive.

C'est la chronique d'une jeune vie confisquée, saccagée par l'incurie, l'étroitesse, le monstrueux égoïsme des adultes.

 Mais il y a cette beauté irréductible : cette adolescente toute d'un bloc, tendue à se rompre, vibrante de colère qui tient tête comme personne au malheur et développe, dans les infimes interstices non obstrués, une force hors norme, de prodigieuses stratégies de survie (elle se ressource notamment auprès des chats sauvages) et une révolte qui n'aura pas de fin.

Les motifs de l'eau, envahissante, et du souffle, étréci, scandent le film de manière obsédante, hypnotique. Film qui tangue et s'étrangle.

Portrait en forme de coup de poing, somptueux et chef-d'oeuvresque.

BH 08/09

"Oh moon !" de Reha Erdem

image_moon1Voici un premier film, une première oeuvre dans toute sa grandiose démesure, ses intrépides parti-pris.

Une héroïne à la lisière de l'adolescence, radicale dans sa pureté et son intransigeance. Une esthétique de l'extrême. Un noir et blanc sublime et graphique. Un décor de conte de fées menaçant et sophistiqué. Le décor est îlien, quasi gothique, il induit un flirt poussé avec le fantastique. L'héroïne, onze ans d'âge, figure idéalement l'adolescence gracieuse et rétive, trop singulière cependant pour ne pas appeller une forme de persécution. Elle abore petite jupe plissée, socquettes blanches, ballerines ingénues, corps longiforme, flexible, visage découpé, cristallin, animé d'une farouche détermination. Elle vit dans une demeure seigneuriale, sorte de manoir isolé qui surplombe une grève furieusement battue par les flots. Elle vit entourée de tantes et gouvernantes amidonnées et préposées à son éducation. Car elle est orpheline, la petite, et la privation de sa mère, surtout, récemment noyée, la travaille. Or, elle a trouvé le moyen de parer à cette ravageuse disparition : elle l'invoque, sa mère, et se connecte à elle via des rêves éveillés dont la vertu résurrectionnelle s'est déjà vérifiée à plusieurs reprises. Seulement ces manies sorcières, ces manières chamaniques sont jugées fâcheuses et malvenues par les tantes qui s'emploient à l'en guérir.

image_moon_2Elles lui présentent, croyant faire diversion, un jeune homme, étudiant, frais émoulu, exemplaire et rasoir à souhait. Il est chargé de la distraire, la surveiller, l'endiguer, de la canaliser et de réorienter favorablement, rationnellement ses flux divagants mais elle aura vite fait d'éconduire cet ectoplasme. Les tantes, coriaces, persévèrent sans désemparer dans la mission qu'elles se sont assignée. Elles entendent sortir la petite de son univers confiné, elles l'inscrivent en pension mais ladite petite résiste, elle fugue, revient sur les lieux de sa passion, son seul ancrage.

Elle fait des raids propitiatoires jusqu'à la mer, elle s'unit surnaturellement à sa mère morte. Elle se trouve un allié en la personne d'un vieil homme ressortissant du royaume enchanté, lui aussi, complice des irréguliers et accointé avec l'invisible. Ce providentiel encourage vivement la fillette à poursuivre ses menées magiciennes, il la pousse dans ses retranchements, l'oblige à aller au bout de ses visions. Par un renversement d'alliance, l'une de ses tantes se fait aussi sa complice quand il s'agit de reprendre possession de la clef qui livre accès à la chambre maternelle désormais condamnée, clef que l'autre tante, implacable et irrécupérable, a subtilisée. Or, de ne plus pouvoir s'immerger dans le sanctuaire et les effluves maternels, la petite n'en dort plus et dépérit.

Sont présents dans ce premier film bercé, frappé par les cadences maritimes, tous les thèmes  que Reha Erdem développera avec bonheur et ferveur au fil de son oeuvre hypnotique : l'enfance ligotée, abusée, l'enfance résistante et héroïque, ses ressources insoupçonnées, le recours à la vie alternative, la vie cachée de l'âme miraculeusement préservée des souillures, la nature omniprésente, scansion magique et redoutable, filmée somptueusement, personnage à part entière.

Ce premier opus, sombre joyau, puissante irradation, s'incruste durablement dans la mémoire.

BH 07/09

"Des temps et des vents" de Reha Erdem

ErdemTrois enfants. Les escarpements des montagnes turques. Des conditions de vie très âpres. Des gens rudes, frustes. Une existence rythmée par les appels à la prière du muezzin, par les diktats de la religion.

Les enfants (deux garçons et une fille) sont, à l'orée de l'adolescence, en état de frémissement et d'acuité suprêmes. Ils sont aux prises avec leurs désirs naissants et avec la cruauté, la lâcheté, la fausseté des adultes, évidences dont ils sont subitement percutés.

La nature environnante, âpre et superbe, est un personnage à part entière. Elle s'étend, ample et aride à la fois, impose ses lois, sa présence majestueuse, sa beauté souvent suffocante. L'espace est habité, le temps est scandé, les deux fusionnent dans de magnifiques jeux de lumière. Le réalisateur a pris le temps à rebours, il capte d'abord des scènes nocturnes puis de remonter le fil du jour jusqu'aux lueurs de l'aube si bien que c'est la naissance, le pur surgissement de la lumière qui clôt et couronne le film.

Les enfants, eux, se fraient une voie accidentée dans ces peu clémentes montagnes. L'un des garçons lutte contre la haine que lui inspire son père, familier et féru de toutes les formes d'abus de pouvoir. Son acolyte, un peu mieux loti quant à son ascendance, se débat avec les sentiments trop tendres que suscite en lui la ravissante maîtresse d'école. Quant à la vive et vaillante fillette, toute de grâce et d'énergie mêlées, elle assume avec beaucoup de cran les charges de mère de famille qui reposent sur ses frêles épaules et dont sa mère l'investit sans sourciller.

Les trois enfants trouvent refuge, reprennent pied et souffle dans la nature. Ils s'y creusent des niches ou s'exposent aux vents salubres des hauts plateaux qui, les giflant, les renouvellent. Ils prennent le temps d'échanger de menues confidences, des pointes espiègles ou des considérations essentielles. Ils goûtent aussi (suprême privilège de l'amitié) la volupté de se taire ensemble, de dériver sur le fil de leurs rêveries respectives. De nombreux plans présentent ces enfants étendus à terre, confondus avec la nature, comme retournés à l'humus originel. Ce film est un feu de sarments secs, tout craque et flambe, s'irrigue d'un lyrisme aussi puissant que contenu. On sort ébloui et habité.

BH 05/08

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