Livres-Addict.fr

 AccueilLivres | Films | Expositions | Sites internet

 Jesper Ganslandt par Livres-Addict.fr 

"Adieu Falkenberg" de Jesper Ganslandt

image_falkenbergVoici un film tout en langueurs, longueurs et en apesanteur. Un film qui étreint le coeur, d'une infinie mélancolie et qui pourtant tient, de bout en bout, le pari du ravissement. On est ravi, rapté et le film défie les lois de la pesanteur dans toutes les acceptions du terme.

La voix off qui sinue entre les images, les cercle et les scande, annonce tout de suite la couleur : le film contrevient à l'injonction selon laquelle il  faudrait toujours "aller de l'avant" et il est, quant à lui, résolument tourné vers le passé.

A travers volutes, vapeurs et arabesques, il y a une vraie ligne qui se dessine. Film de brumes effilochées que coupe et tracte le dur rayon de l'été.

C'est sur un été particulier que se penche le réalisateur. Nous sommes à Falkenberg, petite station balnéaire étrangement désaffectée où vaguent cinq jeunes hommes en fin d'adolescence, cinq doux rêveurs unis par une puissante amitié. C'est la chronique d'un été à l'orée du XXIème siècle, un été de décisive rupture et du fracassement, l'été de la fracture, de la vie fracturée, l'été à bout bascula dans l'irréversible.

Il y a deux frères antipodiques : le gros nounours chevelu néo-hyppie, un tendron nonchalant à souhait et le ludion facétieux, tout de verve et saillies, bonds, rebonds, jets fusants, jaillissements crus et cadence accélérée. Ils débattent sur la question de savoir ce qui vaut mieux en matière de repeinte de la maison : un travail lent et appliqué au rythme rapide et un résultat bâclé (autrement dit s'agit-il de privilégier la quantité ou la qualité) et voici donc que, symptomatiquement, se dessine la ligne de partage entre eux.

Il y a le beau gosse hyperactif, issu des classes par "enfants difficiles" et qui déborde d'inventivité, de projets cocasses voire déjantés, d'énergie mal canalisée. Cet été-là, il se lance dans une aléatoire opération qui consiste à livrer des petits-déjeuners à domicile.

image_falkenbergIl y a le grand dadais, le monté en graine, physique ingrat, personnalité terne et peu mémorable.

Et enfin, l'écorché-vif à l'irrésistible magnétisme, l'adolescent rimbaldien dans toute sa splendeur, blonde chevelure dense et soyeuse, regard bleu perçant, gestuelle souple d'animal sensuel et acrobatique qui s'accroche, avec une grâce sauvage aux grillages.

Ce sont des extraits de son journal qui, en voix off, scandent et rehaussent le film.

Pages d'une grâce souveraine, elles aussi, traversées d'éclats mélancoliques, de questionnements cruciaux, infectées de tristesse, étreintes de la poétique beauté du quotidien quintessencié.

Lui, c'est David, le catalyseur du film et du groupe, l'avatar nordique du "Théorème" pasolinien et l'inséparable, l'ami passionnément aimé du gentil et roux trublion. Nos cinq compères habitent l'été de leurs grands corps malhabiles et sans emploi, de toute leur vacance désoeuvrée.

Entre vagues grattages de guitares, absorptions de substances illicites, explorations tout aussi illicites de maisons désertées par leurs habitants et heures entières dévolues au rien, on touche dans ce film la matière même du temps son épaisseur soumise à un perpétuel délitement.

Mais le fil rouge et l'arc qui vetèbre le film, ce sont les embardées de David vers l'au-delà, sa lente et fulgurante préparation à la mort (perçue par lui comme seul horizon possible) et qui donne lieu à des images d'une suffocante beauté : on le voit par exemple, de dos, s'avançant dans les chemins creux et dans la lumière rasante du jour déclinant qui magnifie la coulée dorée de sa chevelure floue et les lignes pures de son corps de gymnaste, racé, presque maigre et d'autant plus dessiné et presque toujours filmé torse nu. Il faut signaler aussi les nappes de musique languide qui baignent le film de lumière.

Une sensualité à fleur d'images.

Un hymne rare à l'amitié masculine.

Une ode au temps perdu. Une entreprise quasi orphique et envoûtante.

Un film qui poigne et hypnotise durablement.

BH 05/10

   © Livres-Addict.fr - Tous droits réservés                                                                                                          | Accueil | Contact |