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Jose Luis Guerin par Livres-Addict.fr 

"Quelques photos dans la ville de Sylvia" de José Luis Guerin

C’est un film d’avant le film, c’est une quête erratique, une enquête qui ignore son sens et sa destination.

Vingt-deux ans après avoir rencontré, à Strasbourg, au bar « Les Aviateurs », une jeune aspirante infirmière prénommée Sylvie, José Luis Guerin revient sur les lieux de ce qui représenta pour lui une épiphanie et il constitue une collecte de photos qui sont, pour partie, la matière du film.

Posté, aux aguets, il revient sur les traces et les lieux de la rencontre météorique. Il arpente les rues qui le conduisirent à la jeune femme, quadrille méthodiquement les quartiers et points de son possible surgissement, réinvestit les endroits névralgiques, écume les bars, les hôpitaux, épie les silhouettes que crache la faculté de médecine…

Mais peu à peu, la quête initiale et circonscrite, s’élargit. José Luis Guerin qui, au départ, captait visages et silhouettes évocateurs de la mythique Sylvie, se met à engranger des images comme ça, pour rien, pour la beauté du geste et des passantes entrevues. On a alors droit à une somptueuse moisson, une éblouissante brassée photographique, une volée de visages et de corps (le plus souvent pris de dos puisqu’ils figurent celle qu’on suit et qu’on piste) dont la beauté, chaque fois, stupéfie. Car José Luis Guerin possède le don, non seulement de détecter au cœur de la foule de foudroyantes beautés mais il sait aussi célébrer chacun des visages qu’il ravit, en épouser et en magnifier la singularité.

Et la quête s’étend, au-delà de l’originelle Sylvie, à d’autres saisons, d’autres villes (Madrid, Lisbonne) où d’autres sidérantes beautés sont pareillement croquées. Se fait jour, alors, un vrai projet. Projet né d’une nouvelle écrite par un ami et fortuitement retrouvée : il s’agit, dans ce texte exhumé, d'un homme ravi, rapté par l'entrevision d'un visage de femme dans le métro et qui, médusé, partira sur les traces de cette apparition. Quelque chose fermente et se fomente. José Luis Guerin croise sa propre quête avec l’intrigue de la nouvelle et il se place également sous la gouverne et la juridiction de Dante et de son incaptable Béatrice. Ainsi, ce qu’il croyait ne devoir être qu’une recherche à caractère très personnel, très étroit, s’amplifie à mesure, rejoint le champ de la fiction, brasse et embrasse l’universel.

Le processus est fascinant mais la mise en œuvre ne l’est pas moins. Les photos successives forment un ensemble de fondus et surimpressions. Ce sont des plans entrecoupés d’instants nus, de vide sidéral et le tout est intégralement muet : il n’y a pas un mot, pas une musique. Pas un son, seulement des intertitres qui (comme les vides interstitiels) commentent et orientent la quête. Rien qui vienne faire diversion.

Cette intrépide austérité fait saillir d’autant plus la beauté des visages, elle en accuse le fabuleux foisonnement. Et voici donc quelle est la sublime genèse du non moins sublime « Dans la ville de Sylvia ».

BH 01/13

"En construction" de Jose Luis Guerin

image en constructionC'est un chant d'amour. Un hymne aux hommes et à la ville. Aux travaux et aux jours. Aux plus humbles passants qui s'inventent des vies princières et déguisent avec panache leur misère. Aux travailleurs forçats qui ne cèdent pas à l'épuisement. A tous ceux qui orpaillent l'or du temps dans les creux et la crasse du quotidien. Jose Luis Guerin, auteur du fabuleux "Dans la ville de Sylvia" a laissé, deux années durant, vagabonder sa caméra dans un quartier populaire de Barcelone. Il s'est spécialement concentré sur ce qui se tramait autour d'un immeuble  démoli puis reconstruit. Il y a les ouvriers attachés au chantier, bien sûr, mais aussi des vieillards virulents et truculents, dégainant un verbe d'une outrecuidance magique. Il y a une bande d'enfants qui investissent clandestinement le chantier et basculent brutalement dans l'adolescence, délaissant leurs activités horticoles (aménagement d'un jardin aux floraisons et pousses largement imaginaires) pour se lancer dans les graffitis dissidents et les allusions grivoises. Il ya des perdants magnifiques, des courages que l'amour cuirasse, qui se trempent à la source d'une adoration rédemptrice.

Il y ce jeune couple magnétique : lui, beau gosse flegmatique, apparemment impavide dont le père, manoeuvre, a été amputé pour avoir dégringolé d'un toit et qui ignore l'adresse de sa mère cependant qu'elle, zébulon, boule de nerfs et d'énergie et verbe cascadeur afférent, noiraude farfadette et pétroleuse à tout crin est contrainte de faire le tapin (ce qu'elle fait avec une détermination presque joyeuse) parce qu'elle et son aimé n'ont plus de quoi vivre ensemble, plus de quoi vivre du tout ...

Il y a des scènes de flirt captées de fenêtre à fenêtre, Roméo et Juliette ibériques ou l'art réinventé de conter fleurette quand on est un ouvrier de 18 ans ... 

Il y a les ouvriers chevronnés, un espagnol insomniaque, zélateur, empilant, pour constituer un rempart au vide et pour contrer la folie, les heures de travail et aussi un marocain rieur, ample, follement généreux. Il y a la solitude déchirante qui fonde la vie de ces hommes et dont ils témoignent peu à peu, ce qui ne les empêche d'avoir la vie chevillée au corps.

Il y a ce vieil homme quasi clochardisé mais grand seigneur, verbe fleuri, déclamations grandiose qui, dans un café sert à son interlocuteur de fortune un discours ahurissant d'intrépide outrance, de noblesse décalée. Il se vit comme un esthète, un arbitre des élégances, revendique un sens de l'élégance; trimballe toute une bimbeloterie de bibelots à ses yeux sublimes, désigne ses propres vêtements comme des pièces d'art en regard de ceux, pouilleux, de son entourage et quand l'autre, en face, objecte : "oui mais c'est cher les beaux habits", il rétorque, superbe : "Vous pouvez ajouter un adverbe très superlatif, c'est excessivement cher !" La morgue et la repartie d'un Karl Lagerfeld des bas-fonds, un grand moment !

Il y a cette presque jeune fille devenue mascotte du contremaître et des manoeuvres et qui essaie sur eux ses premières armes de jeune fruit acide ...

Il y a l'exhumation d'un squelette datant de l'époque romaine et l'émerveillement unanime de tout ce petit monde et les vocations d'archéologue qui fleurissent parmi les enfants ...

Ces hommes, ces femmes, ces enfants, Jose Luis Guerin les approche avec une infinie patience et une délicatesse hors normes. Il s'efface, se fait tout écoute, tout empathie et ce faisant, il capte les échos et les éclats de ces âmes que le silence seul réverbère ordinairement. C'est prenant, c'est cocasse, s'est poignant, c'est magnifique.

BH 09/08

"Dans la ville de Sylvia" de Jose Luis Guerin

sylviaC'est un film poudreux, évanescent, un poudroiement de lumière, un lent foudroiement. C'est un film poreux qui sécrète une rare plénitude.

Voici un jeune homme, visage séraphique, regard de traque et d'affût. Il siège à une terrasse qui borde le conservatoire d'art dramatique de Strasbourg. Il griffonne, il croque des visages. Visages féminins pour l'essentiel dont il capte la beauté immédiate ou les charmes flous et les attraits cachés. Les gestes sont fébriles, le corps est tendu, arqué, mobilisé par une quête incessante. La caméra est truchement, elle relaie srcupuleusement ce regard aiguisé, elle balaie les visages et capte sur eux les éclats fugitifs de la beauté nomade.

Et puis soudain le regard vagabond se fige, saisi et sidéré. Tout converge vers une silhouette unique qui se découpe, altière, derrière la vitre du café. Un sourire erratique et bintôt extatique se dessine sur les lèvres du jeune homme qui se lève d'un bond, renversant tout sur son passage, lorsque le gracile objet de son ravissement quitte les lieux. Notre artiste se lance à la poursuite de la belle inconnue qui l'entraîne dans les rues pavées du centre-ville. C'est une quête éperdue qui prend curieusement des allures de flâneuse rêverie. Car, avec une passion équivalente à celle qui le portait vers les visages, l'oeil du cinéaste s'attarde sur chaque fragment pierreux, chaque angle, chaque tournant, chaque détail insolite ou non, chaque accident topographique. L'hymne à la ville s'élève cependant que sont célébrées la beauté et fiévreuse quête d'amour.Il y a des accents surréalistes, des réminiscences de "Nadja" qui courent dans cette oeuvre. 

 sylviaTout se passe en silence mais ce silence est habité, il bruit du son des cloches qui carillonnent, de la rumeur des voix volées qui nous enchantent. Les familiers de Strasbourg découvrent une ville revirginisée par un regard d'exception.

La poursuite dure, le jeune homme interpelle d'un "Sylvie" celle qu'il croit avoir identifiée mais elle ne réagit ni ne se retourne, répondant obstinément par le dos de sa silhouette élancéee et par sa démarche véloce aux appels répétés.

La rencontre a lieu, enfin, le face à face est saisissant. Lui, visage christique, creusé, et elle, traits purs, lèvres ourlées, peau diaphane, beauté presque surnaturelle et quelque chose de virginal. C'est le Christ et la Vierge ou le Christ et Marie-Madeleine rassemblés en un même tableau. Le sacré s'invite par effraction et il envahit tout. Il lui parle, elle répond, elle l'éclaire sur sa méprise : elle n'est pas la Sylvie qu'il a rencontrée six ans auparavant au bar des "Aviateurs". Il la quitte après qu'elle lui a arraché la promesse qu'il ne la suivra plus ni ne cherchera à la revoir.

Il retourne à ses croquis mais soudain, par la blessure ouverte, l'art fulgure. Les visages, croqués au début de façon aléatoire autant qu'incertaine, s'organisent en ballets cohérents, tout se densifie et prend sens, l'indécision n'a plus cours, le réel est soulevé, le poème afflue, un artiste est né...

Un chef-d'oeuvre !

BH 09/08
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