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  Christophe Honoré par Livres-Addict.fr 

 "Scarborough" de Christophe Honoré (L'Olivier)

scaboroughLa barque est un peu chargée. Jugez plutôt : dans un texte liminaire, on nous annonce que les deux protagonistes, Baptiste et Steven, deux frères, ont fui la France pour l'Angleterre. L'un des deux est un lâche, nous apprend-on, l'autre un criminel. Ils sont en outre porteurs d'un secret qui les désigne à la vindicte publique : ils sont amants. Ils débarquent dans un port, Scarborough. Dès la première scène, dans la cour de l'immeuble où ils ont élu domicile, ils sont témoins d'un suicide : Kim, leur voisine adolescente, lasse de sa disgrâce, s'est défenestrée. Les deux frères la sauvent in extremis, ils sont héroïsés, portés en triomphe par les anglais avant d'être conspués car Kim a récidivé, avec succès cette fois. La nature ouvertement scandaleuse de la relation qui unit les deux frères en fait des cibles de choix, d'idéales victimes expiatoires.

Ils se lient avec Sukie, la mère éplorée de Kim. Mais l'amour de Baptiste et Steven, si extrême soit-il, est un absolu sans horizon. Baptiste éperdu désire un enfant de Steven, il propose d'avoir recours aux services d'une fille, dune lycéenne levée dans la rue mais à ces mots, Steven se détache instantanément de Baptiste qui le perd, qui est chassé, qui part et disparaît définitivement.

Steven cependant deviendra père loin de Baptiste, père d'un petit Anton dont Sukie est la mère. Les quelques pages consacrées à la répulsion qui anime Sukie à l'endroit de son fils sont d'une grande acuité : Sukie est dans l'incapacité d'aimer Anton car il n'est pas Kim. Elle part, elle aussi, laissant Steven et Anton goûter une extatique autant que suffocante solitude à deux. L'inceste fraternel se rejoue mais entre le jeune père et son fils, l'amour ne peut être que sexuel et tabou, le franchissement de l'interdit fonde l'amplitude de la relation.

Il y a des réminiscences de Genet là-dedans : la grandeur, la noblesse ne se trouvent que dans l'abjection sublimée. Cela dit, n'est pas Genet qui veut : l'outrance est souvent forcée, l'exhibition plate, l'obscénité gratuite et sans portée. La transfiguration convoquée n'est pas nécessairement au rendez-vous.

Il reste un style singulier (bien que parfois trop manifestement inscrit dans un courant post-durasien), tout de syncopes, de sèches saccades lyriques. Il reste des scènes brutalement découpées, d'une force parfois visionnaire, hallucinée. Il reste aussi, symétriques aux passages crus du récit, les incandescents cantiques amoureux exhalés par les deux frères puis par le fils. 

Il reste surtout, au coeur de l'impudente et intempérante obscénité, une voix cristalline qui s'élève, des moments de grâce à couper le souffle, une effrénée soif de pureté qui résiste etsort intacte de ce récit bancal.

On se croirait face à un premier roman tant ce texte, aussi séduisant qu'irritant et inabouti, est animé d'une urgence tout adolescente (cette dernière appréciation est un compliment).

BH 10/07

"Les chansons d'amour" de Christophe Honoré


Soyons clairs : je n'ai rien contre Christophe Honoré, j'avais plutôt aimé ses deux premiers films ("17 fois Cécile Cassard" et "Ma mère") pour leur culot et leur noirceur assumée et sans être fanatique de ses romans bancals, faussement transgressifs et authentiquement candies, je ne les déteste pas non plus.

chansonamourNon, ceux qui m'énervent, ce sont les critiques. Au sujet de ce nouveau film, ils sont unanimes. Leurs papiers : déferlements d'éloges, exclamations extasiées, ils dégainent tous leurs superlatifs.

Or, quel est l'objet cinématographique qui suscite de tels dithyrambes ? Il s'agit d'une comédie musicale aérienne qui explore facétieusement la vie d'un trio amoureux (un garçon et deux filles) avant de se montrer, par affleurements successifs, comment chacun (le charme du film doit autant aux personnages secondaires qu'aux acteurs de premier plan) survit à la disparition brutale d'une des jeunes filles. L'argument est mince mais ce n'est pas un problème en soi. Bergman, Antonioni et d'autres n'ont-ils pas bâti des chefs-d'oeuvre à partir de presque rien ? La minceur du propos, la ténuité des bases rendent d'autant plus impressionnante la grandeur du résultat. C'est le regard qui fait tout, qui plonge, ouvre, fouille, donnent l'épaisseur, la vastitude.

Dans le susdit film, il y a certes des choses à louer au premier plan desquelles l'ébouriffante prestation de Louis Garrel (digne fils de son père bien qu'il s'illustre essentiellement dans un registre solaire quand son ainé est connu pour ses flirts avec l'abîme). Nonobstant sa ténébreuse beauté et son charme prenant, ce garçon est pourri de talent. Il crève l'écran, on ne voit que lui. Tour à tour elfe virevoltant ou jeune Werther poignardé de douleur, il excelle dans tous les registres. Il chante, danse, pétille, s'enténèbre, crépite, aime, doute, souffre avec une égale virtuosité. Ses deux amoureuses (Ludivine Sagnier, sensible, subtile et Clotilde Hesme radieuse) sont charmantes et très justes elles aussi. Quant aux autres (Brigitte Roüan, Chiara Mastroianni, ALice Butand, Grégoire Lerpince-Ringuet), rien à dire, ils sont à la hauteur de leur partition.

Alors quoi ? Alors c'est un film léger, ludique, frais, poétique, cocasse, bourré de charme mais la vraie grâce est absente. Elle est retirée au film qui à aucun moment n'ose s'aventurer en profondeur. Or la grâce est à ce prix. L'émotion ne prend pas, il n'y a pas de terreau pour qu'elle prenne. De même, des références explicites à Demy, Godard ou Truffaut émaillent le film. Ces clins d'oeil plus ou moins appuyés à la nouvelle vague sont plutôt plaisant et bienvenus. Sauf que, surtout s'agissant de Godard, à aucun moment on ne trouve cette aptitude au grand écart, cette démesure, cette puissance visionnaire. On ne côtoie pas la folie, la grande folie créatrice, on est juste baladés dans le pays de la fantaisie. C'est toute la différence.

Bien qu'il évite (parfois de justesse) la mièvrerie, le film de C. Honoré ne sort jamais des sentiers balisés, des paysages mentaux balisés. On ne risque pas de s'y perdre. A aucun moment le film ne décolle, à aucun moment le spectateur n'est en proie au mal de l'altitude. L'auteur avoue avoir songé à Vincent Delerm (qu'il admire !) pour interpréter le rôle principal. Rien d'étonnant à cela. Sans faire l'injure à Christophe Honoré de comparer son film aux soupes ou plutôt aux soporifiques tisanes que nous sert sempiternellement le sieur Delerm, on ne peut nier qu'il y a une parenté et pas seulement dans les comptines et complaintes qui scandent le film ...

Alors pourquoi ce déchaînemet laudatif, ces sublimes à la chaîne, de la part des critiques ? Or on est loin, très loin du sublime. La dernière oeuvre de Garrel père par exemple mérotait ce qualificatif mais il faudrait s'entendre sur la définition de ce terme, veiller à ne pas le galvauder. Est-ce alors que la morosité ambiante est telle que le moindre opus un peu sautillant suscite une pâmoison compensatoire ?

Il me semble plutôt que les critiques encensent d'autant plus volontiers qu'ils se reconnaissent dans l'oeuvre, qu'ils ne sont pas dépassés par elle. Or là, c'est sûr : pas de vertige en vue.

BH 07/07

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