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 Isild Le Besco par Livres-Addict.fr 

"Charly" d'Isild Le Besco


charlyC'est un film qui n'est pas aimable. Apre, râpeux, chlorotique, paradoxal. A la fois rapide, elliptique comme la réalisatrice et d'une lenteur exaspérante comme l'adolescent qu'elle filme.

On entre à reculons dans un monde vermoulu, désaffecté, une province dessubstantifiée, dévitalisée. Les couleurs sont passées et sales, coulées grises et verdâtres, atmosphère délétère, la vie et l'énergie se sont fait la malle.

C'est d'abord un film sur les corps. C'est d'abord le corps de Nicolas, 14 ans qui traîne comme une malédiction des membres qu'on dirait presque postiches, trop longs, trop massifs, désaccordés, mal assortis avec ses boucles d'angelot brun qui encadrent une bouille lunaire. Il s'étiole dans un ennui insoulevable, végète dans sa famille d'accueil, des retraités pareillement pris de langueur mais parce que, eux, la mort les a déjà saisis. Nicolas, lui, est plein d'une séve qui échoue à jaillir, il est cloué dans son apathie, et dans une quasi aphasie, le verbe aussi lui faisant défaut, la langue ne l'ayant pas encore irrigué.

Et puis c'est le déclic : à l'un de ses profs, croisé dans un café, il dérobe "L'éveil du printemps" de Wedekind. Il trouve, inséré dans le livre, une carte postale de Belle-Ile. Cette carte et cette destination lui tiendront désormais lieu de sésame, de viatique, de talisman, de but. Il part. En chemin il tombe sur une jeune prostituée (ou plutôt ils se percutent tant la rencontre est détonante) qui, en quelques phrases abruptes, cisaillantes, l'embarque et l'installe dans sa roulotte, en plein champs, quelque part en lisière du monde.

Elle (Julie-Marie Parmentier, saisissante), c'est le corps du film, celui autour duquel tout s'articule et bascule. Elle, longue et lisse chevelure rousse, petits yeux fureteurs, corps menu, nerveux et allègrement découvert, c'est l'antithèse de Nicolas. Elle, c'est Charly, tornade sèche. Elle, c'est un corps toujours en mouvement mais c'est surtout l'avènement du verbe. Sa langue est fruste mais, à sa manière, affûtée, taillée dans l'urgence. Elle parle sans arrêt, ton péremptoire, débit mitraillé. Elle crible Nicolas d'ordres, de contrordres, d'interrogations auxquelles il oppose des "chaipas" pathétiques.

L'une des trouvailles du film est de faire de Charly un corps non seulement tendu comme une arbalète mais surtout cardé dans des obsessions compulsives d'ordre et de propreté. Est-ce une parade contre la souillure ? Peu importe, elle est tout entière requise par l'agencement, la distribution très minutieusement établie des objets. Tout doit être lustré, astiqué, à chaque chose est assignée une place. C'est le rangement maniaque pour contrer le dérangement mental.

C'est encore "L'éveil du printemps" qui se trouve au centre d'une des scènes-clef. Désoeuvré pendant que Charly part (à travers champs) faire ses passes, Nicolas lit avec ferveur et mémorise des scènes. Un beau jour, il ose demander à Charly de le faire réciter. Charly, toujours comminatoire, se collète avec une langue dont la préciosité l'agace, dont l'étrangeté l'inquiète et qu'elle réinvente assénant des commentaires tranchants, des jugements expéditifs. Elle est d'une exquise, d'une incisive drôlerie et cependant sa verve trouée, sa verdeur lacunaire serrent le coeur car sa langue est blessée comme sa vie est boiteuse. En face, Nicolas apprend lui aussi à en découdre avec la langue, il profère des phrases un peu plus intelligibles et plus développées que l'habituelle bouillie monosyllabique dont il est coutumier. Peu à peu, il s'empare du texte. Il s'anime, sort (un peu!) de sa léthargie. Et le verbe se fait chair ... Le heurt entre ces deux corps que tout oppose (celui de Charly lapidaire et celui de Nicolas, molle et flottante méduse échouée qui peu à peu se vertèbre) est filmé avec une formidable acuité. Ils se désengluent, se clarifient par frictions successives. Ils s'aident à vivre, tout simplement.

Isild Le Besco dit avoir voulu saisir son frère (Kolia Litscher, l'irritant et attachant Nicolas) dans la précarité de ses 14 ans. Ce qui est sûr, c'est que ce drôle de film tout hérissé est l'oeuvre d'une fille pas banale, d'un sacré tempérament !

BH 09/07

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