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Sébastien Jaudeau par Livres-Addict.fr
" La part animale" de Sébastien Jaudeau
On
pourrait croire qu'il s'agit de bestialité mais c'est une fable sur la
condition humaine. Sur la hantise et l'effréné besoin d'altérité qui
nous habitent, nous travaillent à parts égales.
Etienne, un homme jeune et désargenté, s'installe en compagnie de sa femme Claire et de leur petit garçon en plein coeur d'une Ardèche les longues étendues inhabitées s'égalent au désert, un désert verdoyant certes mais désert quand même.
Etienne a trouvé un emploi chez Chaumier, un éleveur de dindons. Les dindons sont à ce point gavés qu'ils ne peuvent plus monter les dindes et Etienne a pour mission de les masturber tous les jours. D'abord dérouté, il prend goût à cette tâche qui, en revanche, provoque chez Claire un franc dégoût et cette disparité sera l'origine d'une scission qui ria s'aggravant. Claire éprouve également une aversion pour Chaumier, le patron éructant, comminatoire, cynique qui n'a de sarcasmes à la bouche et qui, obsédé par l'innovation, le rendement à tout prix, s'est durci à outrance si bien que sa femme (Anne Alvaro égarée, éperdue d'angoisse et de désirs midinesques) va chercher refuge dans les bras de "l'ami de la famille", agent immobilier de son état mais pas une moindre roulure pour autant.
Peu à peu, la nature du travail accompli et le contact avec la terre illimitée modifient les êtres en profondeur. Ce mode de vie plus qu'étrange est altérant, il sème le trouble, le désordre. Si les animaux sont mécanisés, complètement instrumentalisés, les humains de leur côté, renouent avec leurs pulsions, leur part brute. Claire, notamment, bien qu'écoeurée et révoltée, puise dans son déséquilibre une force neuve, sauvage, elle se découvre une faim et des appétits inédits, elle voit sa sexualité éclore et s'exacerber.
Etienne, quant à lui, se met à habiter pleinement sa chair, sa vie organique, il consent à tout, il est tout entier acquiessement et ce n'est pas un hasard s'il noue une relation priviligiée avec Maria, une vieille femme aux portes de la mort qui est aussi le pôle sensé, stable et lumineux du film. Tous les autres personnages se débattent avec leur part d'ombre, y compris Etienne qui devra en découdre avec les insurrections de sa femme.
Il faut saluer l'interprétation : Niels Arestrup en Chaumier campe idéalement une ordure ordinaire. L'intrigant Sava Lolov (venu du théâtre du Soleil) compose un Etienne singulier, voluptueux, tout ensemble dur et mou, masculin et féminin. Quant à Rachida Brakni, elle est une Claire sublime : tour à tour oiselle effarouchée ou féline et menaçante guéparde, elle avale la nuit pour mieux la recracher, elle semble catalyser les forces transformatrices à l'oeuvre.
Les paysages sont à couper le souffle et les visages sont filmés comme des paysages. C'est un film qui réveille, stimule, bouscule, qui invite à reconsidérer les choses, qui invite (et ce n'est pas fréquent) à les considérer autrement.
BH 10/07