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  Ray Lawrence par Livres-Addict.fr 

 "Jindabyne" de Ray Lawrence

jindabyneUne bourgade perdue dans l'immensité et le dépouillement fastueux de la nature australienne. Un meurtre commis par un vieux maniaque sur la personne d'une jeune et belle aborigène. Une communauté de blancs qui se débattent, en proie à diverses figures de la difficulté d'être. Il y a là une femme vieillissante mais encore belle qui se retrouve, après la mort de sa fille en charge de sa petite-fille rétive, fantasque, haineuse. L'enfant s'efforce de créer des passerelles qui lui permettront de rejoindre le royaume des morts, la grand-mère échoue à l'apprivoiser, à l'éduquer et s'exaspère de voir sa vie confisquée par cette gamine qui lui est échue avec le deuil. Il y a un jeune couple amoureux, exubérant mais paumé. Un couple improbable que forment l'institutrice et le beau rustre local. Et, au centre, un magnifique couple brisé.  Lui (Gabriel Byrne magistral de désespoir quintessencié) endure stoïquement les coups répétés que lui portent les refus et les retraits de sa femme, il promène, avec une résignation qui serre le coeur, son grand corps las, son regard délavé par l'usure et la tristesse. Elle (Laura Linney prodigieuse d'intensité), vacille sur la fêlure qui lui tient lieu de socle vital, elle est tout entière condensée dans l'amer chagrin et le ressentiment (sans cause assignable) tour à tour rageur ou glacial qui la dresse contre son mari. Il y a leur petit garçon que sa mère abandonna à son mari durant les 18 mois qui suivirent sa naissance et qui navigue à vue entre ces deux adultes cabossés, tout en s'initiant au spiritisme aux pratiques divinatoires et aux rites mortuaires par le truchement de sa petite copine l'orpheline enragée. Et il y a encore la belle-mère qui cristallise la haine de la "mère indigne". Quatre couples, quatre âges de la vie. Les hommes entre eux sont amis. Les hommes entre eux s'échappent une fois par an dans la montagne pour un week-end de pêche, moment de respiration et de ressourcement dont leurs vies sont cruellement dépourvues.

Les situations campées dans la première partie du film ne sont donc guère brillantes. Et ça ne va pas s'arranger. Nos quatre compères partis s'oxygéner et croyant goûter enfin l'immunité, l'innocuité, seront rattrapés et sévèrement atteints par les venins qui irriguent la vie d'en-bas. En chemin, ils tombent sur le cadavre de l'aborigène. Ils attendront trois jours avant de signaler leur découverte. Négligence ? Paresse ? Désir de savourer la paix enfin octroyée ? On leur fera payer très cher ce faux-pas. Les deux communautés - la blanche et l'aborigène - se ligueront et se déchaîneront contre eux avec une égale férocité. Cet évènement, détonateur et catalyseur, illimitera la violence en germe dans la première partie. Deux registres, l'intime et le social, se mêlent étroitement. Mais l'intérêt du film réside surtout dans l'acuité avec laquelle est saisi le couple tragique. Lui, épaules voutées, échine courbée, animal blessé à mort, endosse doublement le rôle de victime expiatoire. Elle, toute de fièvre malsaine, d'élans spasmodique, se trouve tout à coup une mission, un sacerdoce : elle se convainc qu'il lui revient d'assurer la rédemption des fautifs en multipliant les démarches, les offrandes, les actes d'allégeance auprès de la communauté aborigène. Autant elle se montre dédaigneuse et rogue envers son mari, autant elle accuse, auprès des "étrangers" les postures soumises dévotieuses voire humiliées. Elle inverse les priorités, confond les clivages, veut effacer les publics, les liens sociaux avant de s'attaquer à ceux qui gitent en elle. Laura Linney excelle dans l'incarnation de la sensibilité dévoyée. On la sent vibrer à chaque instant, dans chaque geste, dans chaque battement de paupière, cette sensibilité. Elle est immense mais détournée de son but naturel et premier. Face à Gabriel Byrne, Laura Linney se mure sans appel, elle se bute, s'englue, dans un malheur dont elle est l'artisan.

Le réalisateur écrit avec talent le trajet de cet amour inversé, perverti, le portrait de cette femme qui, pas à pas, touche par touche, écarte les occasions offertes, se ferme les horizons ouverts et stérilise tous les gestes d'amour de son mari terrassé. Ce qui est capté, ce sont des absences, des blancs glaçants, des sentences, des espoirs guillotinés. Ce sont des sourires non-rendus, des gestes rétractés, des tentatives humiliées, des caresses esquivées, un corps retranché ... C'est très fort, ça remue violemment !

BH 08/07

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