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 Laetitia Masson par Livres-Addict.fr 

"Coupable" de Laetitia Masson

CoupableC'est une méditation fantasque sur la nature et les cruautés du désir. C'est une version postmoderne des "Hauts de Hurlevent". Une rêverie mélancolique doublée d'un épluchage incisif autour de femmes trop belles et d'hommes qui ne savent pas les aimer, à peine les désirer. C'est tout ensemble vaporeux et caustique, languide et cinglant.

Il y a une cuisinière qui entretient d'étranges rapports avec ses couteaux, une cuisinière plus aristocratique et racée que la richissime, névrosée et bigote bourgeoise qui l'emploie. Il y a un enquêteur (Denis Podalydès) qui jette sur les choses et les êtres des regards perplexes, effarés voire hallucinés. Il y a un avocat (Jérémie Régnier) qui ne parvient pas à se dépêtrer des désirs qu'il inspire et qu'il éprouve. Il y a une irritante et somptueuse coquette (Amira Casar version blonde pour l'occasion) qui s'abîme dans des rêves avortés.

Un meurtre est commis sur la personne du maître de maison (le magnétique et trop rare Marc Barbé). Sont suspectées au premier chef son insipide épouse et l'énigmatique cuisinière. Sont enrôlés pour traiter cette affaire l'inspecteur de police et l'avocat. Mais cette intrigue-là n'est qu'apparente, elle est très vite reléguée au rang d'anecdote, elle n'est rien au regard de la danse des désirs et de mort qu'entament les protagonistes.

Chacun est renvoyé à son désir et s'interroge sur sa forme, son évolution et, tout spécialement, sur ce qui l'oblitère. Amira Casar, mariée à l'avocat, s'escrime à ranimer un feu éteint. Elle use des expédients les plus grossiers les plus tapageurs. Belle, elle est aussi grotesque et pathétique et elle endosse avec cran ce rôle peu flatteur. L'avocat et l'enquêteur sont tous deux sous le charme vénéneux de la cuisinière. Quant à cette grande fille, héroïne improbable autant qu'impondérable, elle va d'abord casser la croûte sur la tombe de son ex-patron et amant qu'elle invoque et invective, lui reprochant de l'avoir abandonnée à une solitude sans remède avant de reporter ses feux sur l'avocat promptement estampillé "homme de sa vie".

Tout cela oscille allégrement entre romantisme exacerbé et réjouissante cocasserie. Le film boite, il est délibérément bancal, on ne sait jamais de quel côté on se trouve. Ainsi de la cuisinière, simultanément présentée comme une héroïne des soeurs Brontë et comme une vieille fille pathétique. Elle est affligée de parents inouïs qui la harcèlent gentiment mais non moins incessamment pour qu'elle se "case" enfin à 34 ans passés. Ce couple parentale, de braves gens de condition modeste, d'une tranquille truculence et d'un bon sens extravagant, ponctuent le film des énormités qu'ils profèrent le constellent, ce faisant, d'une irrésistible drôlerie.

Mais celle qui dans tout ce fatras hante l'image telle un météore persistant, c'est Hélène Fillières, cuisinière sublime et ovni cinématographique. Autour de son corps dégingandé et androgyne qu'elle pare de robes aussi somptueuses qu'anachroniques se cristallisent tous les désirs. Elle déambule avec une grâce que rehaussent ses nombreuses maladresses dans des paysages dont le romantisme semble généré par ses fiévreuses songeries. Incandescente, porteuse de rêves et d'atours anciens dans un corps à la beauté éminemment moderne, elle est un concentré de charme et de mystère et elle assure la cohésion de ce film foutraque et séduisant. Laetitia Masson a pris le parti de la filmer longuement, souvent de s'attarder sur son visage étrange, hypnotique, sur son corps magnifique tige flexible: c'est un signe d'intelligence ...

BH 04/08
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