C'est
l'histoire de l'identification d'une femme dans le corps d'un homme. On
assiste - et c'est saisissant - à toutes les étapes de l'éclosion, on
est l'invité presque indu, témoin stupéfié des phases de la chrysalide.
Mais ce sculpteur de lui-même, ne se contente pas (si tant est qu'il
s'agisse d'une action limitée) de façonner sa propre enveloppe afin
qu'elle figure au plus juste l'âme qu'elle recèle, il étend ses
tentatives sur le monde, y applique ses talents transformistes dans le
but de le réenchanter - et il y a parvient. Pyuupiru donc, est le sujet
et l'objet du film. C'est un jeune japonais qui se rêve en femme
amoureuse (et aimée) et en artiste auteur de performances et d'objets
symboliques (de préférence porteurs d'une dimension régressive, de
qualités douces et moelleuses) visant à rendre plus hospitalier ce
monde adverse voire inhabitable. De 2003 à 2009, le documentariste
s'est attaché à ses pas et a enregistré l'évolution de la
transformation physique comme de l'expansion créatrices. Les deux sont
sidérantes.
Pyuupiru opère sur son corps et sur le monde en étroite connivence. Il modèle son corps jusqu'à ce qu'il soit un condensé du monde idéal qu'il porte en lui et, réciproquement, il projette dans le monde des créations fantasques, colorées, scintillantes, enchanteresses qui sont des corps glorieux et un prolongement de lui-même. C'est un portrait qui prend à la gorge car il est réalisé en résonance avec le tambour du coeur et celui de Pyuupiru est prodigue. On se trouve - et c'est poignant - face à un artiste d'une dextérité et d'une inventivité rares et face à un enfant dénué qui pleure tout haut de n'être pas aimé.
Il se crée intégralement, tout seul, au prix d'efforts et de mutilations terribles un corps (de fille), un monde (d'enfance) mais l'amour, qui dépend de l'autre, il ne peut y pourvoir seul et c'est ce qui le fend, c'est sa profonde déchirure.
Au
bout d'un moment, tout semble pourtant lui
sourire : sa notoriété va croissante, ses performances sont programmées
aux biennales de Tokyo, sa famille (son frère, notamment, gros ours
massif et débonnaire, antipodique de lui) accueillle ses métamorphoses
successives avec une tolérance confondante et il rencontre même un
jeune
homme qui semble répondre à ses élans amoureux et qu'il s'empresse de
rebaptiser "Papa". Seulement "Papa" se dérobe quant aux fins dernières,
à l'ultime rapprochement sexuel et lorsque Pyuupiru se résout à
accomplir (outre l'absorption d'hormones) l'acte radical, la
castration, "Papa" ne trouve rien de mieux à faire que de rompre
sur-le-champ et on assiste alors à une scène déchirante : Puuypiru
mortellement seul, à l'hôpital (il a pris et exécuté sa décision à
l'insu de tous) qui psalmodie "Pardon papa, maman, pardon !"
et dont on ne sait par quelle perte broyé il est le plus
atteint...
Un documentaire sur le fil qui funambule entre esthétique raffinée, images d'une frappante beauté (le corps que se constitue progressivement Puypiru est d'une grâce et d'une gracilité des plus troublantes), ludisme réjouissant (il réalise des peluches géantes qu'il investit, qui lui font une seconde peau) et séquences d'une nudité bouleversante.
Une beauté.
BH 02/11