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 Paul Newman par Livres-Addict.fr 

"De l'influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites" de Paul Newman

image rayon gamma 1C'est un film rapeux, revêche parcouru d'électricité statique. Il y a une carburation à l'oeuvre, des corps et des cervaux en surrégime, le survoltage imprègne tout, affecte chaque image du film. Cette surchauffe est féminine, elle se partage et circule au sein d'un trio, un triangle conducteur. Il y a la mère et ses deux filles. Nous sommes dans une banlieue américaine, à l'orée des année 70, juste avant que le féminisme ne déferle, à une époque où les femmes s'étiolaient encore en grand nombre et sans recours possible.

La mère est un produit typique de la dérive banlieusarde de ces années-là. Abandonnée par son mari (lequel est mort depuis) et tributaire de lui pour sa subsistance car sans emploi et sans formation monnayable, elle en est réduite, pour assurer sa survie ainsi que l'éducation de ses fillles, à exercer des emplois de fortune qui lui répugnent et l'humilient profondément. Elle est typique mais c'est aussi une exagération vivante, une hyperbole hirsute et éructante. Dès la première scène, on la voit débouler échevelée et criarde à la sortie de l'école et elle apostrophe ses filles avec une virulence stridente qui vrille les nerfs. Le film s'attache à enregistrer les flux et les variations d'énergie exaspérée et la manière dont ils se distribuent dans le triangle mère-filles. 

La mère fonctionne sur un mode hystérique aigu. Négligée, gouaille et dégaine de chiffonnière, lippe vulgaire, clope au bec, alcoolique et souvent titubante, elle dilapide sa vie en récriminations contre les hommes (tous des salauds, des lâches) et contre la marche trébuchante du monde qui la lèse. Elle forge des rêves (dont l'un réccurent, la place à la tête d'un restaurant cosy et cossu) qui s'effritent sur ses lèvres. Elle malmène les vieilles dames dont elle s'occupe pour une somme trop modique à son goût. C'est une bourrasque d'églinguée dont l'énergie dévoyée tourne à l'aigre et à vide. Ressassant échecs et frustrations, elle se lamente, elle houspille et vitupère ses filles.

image rayons gamma 2Lesdites filles sont, dans un premier temps, éclipsées par cette femme aussi dévoreuse d'espace qu'une mère fatale, une mère mythologique.. Mais peu à peu, elles se dégagent de l'anneau maudit qui se desserre au lieu de les étrangler. Antipodiques en tous points, elles épouseront des trajectoires diamètralement opposées.

 L'aînée, brune piquante dans la fleur de l'adolescence, vibrionnante, pétroleuse, culottée, est capable de défier sa mère, de s'opposer à elle frontalement mais elle est fracturée de part en part, elle souffre de spectaculaires crises d'épilepsie et de sommambulisme.

La cadette est une eau calme et claire, une grande tige blonde aux yeux myosotis qui jette sur le monde un regard interrogateur et exempt de jugement. Intelligence hypertrophiée, c'est une fleur du silence et, pour contrer les tornades maternelles et domestiques, elle élit domicile dans les mystères et les prodiges de la chimie : elle se livre à des expériences ébouriffantes, suprêmement sophistiquées, elle étudie notamment "l'influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites".

La mère, lapidaire, définit ainsi ses filles : "une demi-folle et une demi-éprouvette" ...

L'aînée s'exorcisera partiellement à travers le théâtre, en présentant une irrésistible parodie de la figure maternelle (mais saurait-il encore être question de parodie dans ce cas où le modèle se confond déjà avec la caricature ?) Quant à la cadette, d'abord mutiquement sacrificielle, c'est elle qui, mue par sa passion, portera le plus loin le processus d'émancipation. Lauréate d'un concours de chimie fort prisé, elle prononcera un vibrant éloge de l'atome dont les ressources poétiques ne cesseront plus de l'émerveiller. Elle a goûté à l'ambroisie, à l'infini, elle ne se dégrisera plus. Elle est sauvée et c'est  par elle que le salut adviendra. On l'entend en voix off, en son for intérieur, récuser les ténébreuses prophéties de sa mère "Non maman, la vie n'est pas foutue, la vie n'est pas une chiennerie, elle est belle et moi j'ai tant à vivre !"

Le film décrit de manière saisissante ce double processus simultané : la déchéance de la mère et l'irrépressible éclosion des filles. C'est implacable, c'est poignant, c'est un sombre joyau que Paul Newman a créé et qu'il importe de redécouvrir.

BH 10/08
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