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Elisabeth Perceval et Nicolas Klotz par Livres-Addict.fr
"Low life" d'Elisabeth Perceval et Nicolas Klotz
Voici
un film de trépidation languide, d'urgence dansée, opératique. Un film
d'abrupte douceur qui arrache et déchire en enveloppant.
C'est un film politique et poétique. C'est une pure insurrection poétique. C'est surtout un film d'un romantisme exacerbé, un film qui ose, en ces temps de basses eaux, de tension faible, un lyrisme outré, absolument hors de saison et, de ce fait, absolument enchanteur. C'est aussi un film de corps. Corps électrisés et frappés. Corps qui ondoient, pris dans la ronde effrénée du désir. Corps qui se percutent et s'entrechoquent et se déchirent d'ardeur dans l'amour. Corps qui tombent, qui chutent momentanément ou définitivement dans la lutte armée ou désarmée entre ceux qui sont spoliés de tout, ceux qui n'ont rien et ceux qui ont le pouvoir, terrifiant, de disposer de la vie des autres, de l'émietter à loisir.
C'est, dans des lieux désaffectés, déshérités comme leurs occupants (squats, terrains vagues, appartements dénudés qui semblent de vastes friches), une entêtante danse d'amour et de mort entre des jeunes gens irradiés, soulevés de ferveur et qui ne renoncent pas. Et qui tous sont d'une beauté sidérante.
On les suit dans une nébuleuse noctambule, indolente et syncopée. Il y a Sophie, blonde Ophélie précieuse, précise, radioactive. Il y a Julie, rousse diaphane zébrée d'angoisse, aux prises avec ses origines israéliennes.
Il y a Emma, fraîche et solaire brunette. Il a Djamel, aigu, acéré dans sa parole et dans ses gestes, amoureux éperdu de Julie qui le chérit pareillement.
Il y a Georges qui déploie gracieusement son long corps félin et impose son visage de ténébreux aux joues creuses et ses faux airs de Philippe Garrel.
Il y a surtout Charles, Carmen et Hussain. Entre ces trois-là va se jouer une partition tragique et sublime où se confondent enjeux sociaux, politiques et intimes.
C'est une pièce racinienne ou une tragédie antique qui se scande selon les cadences arythmiques de la musique électro.
C'est
une transe atmosphérique dont on sort modifié. C'est un monde
désamarré, livré aux éclats et aux abus d'une jeunesse ivre d'elle-même
et de rage, ivre aussi d'une beauté qui est à arracher, à gagner chaque
instant sur la médiocrité
du monde.
Ces jeunes corps déambulent entre des murs nus et des espaces aveugles au gré d'une chorégraphie limpide et aérienne. Ils se grisent d'alcool, de fumée, de mots, d'orageuses déclarations, de déclamations furieusement romantiques, d'étreintes haletées, éblouies.
A l'intérieur, entre les murs, on assiste à un sabbat ralenti, décroché, tout en apesanteur.
A l'extérieur, ce sont des rixes avec les forces de l'ordre, seuls corps à peu près normés et adultes du film.
Il y a aussi les squats que traversent les jeunes nantis et où ils nouent des liens puissants.
C'est là que Carmen, qui aimait Charles, va rencontrer Hussain, afghan et sans-papier qu'elle élira d'un seul regard, de ceux qui ne se reprennent ni se dédisent.
La dramaturgie se resserre alors autour de ces trois-là. Charles est un jeune dandy outré, ombrageux au possible, qui déclame, au travers de périodes incendiaires et poseuses, sa douleur d'amant éconduit. Ses phrases sont à son image, aussi brillantes qu'exaspérantes, aussi cinglantes qu'éperdues.
Carmen est une biche à la voix rauque, au corps elfique et Hussain un scandale de beauté absolue, un ange de douceur, de beauté grave et foudroyée.
Parce que ce dernier est sans papiers et traqué, Hussain et Carmen sont bientôt contraints d'abriter leur amour fou derrière la porte close d'une chambre murée. Et ils dérivent alors doucement au fil d'une catalepsie (laquelle se mue bientôt en inquiétante narcolepsie) invoquée.
Un grand film vénéneux, atomique, malade de son excès de splendeur et purement addictif.
BH 04/12