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 Michelange Quay par Livres-Addict.fr 

"Mange, ceci est mon corps" de Michelange Quay

mange_ceci_est_mon_corps_1Attention ! Voici un film d'un éclat et d'une qualité suprêmes, un film supérieurement beau, supérieurement intelligent qui est par trop passé inaperçu.

C'est une première oeuvre qui signe l'éclosion d'un talent reversant. Le film commence par un long survol des terres haïtiennes, survol qui passe très vite en mode rasant au point de porter le spectateur, partie prenante, à la nausée. Les terres surplombées puis effleurées sont un crèvecoeur, un désert craquelé hérissée d'habitats de fortune entre bauge et cloaque, on est face à une aire sinistrée, en mal de fructification.

Ensuite c'est une foudre, une dérouillée, un déploiement tous azimuths saturé de symboles et d'une beauté suffocante. 

Tout est allégorie et tout est à couper le souffle. Tout est dualité, tout est tranché, bipolaire et cependant rien n'est grossier ni manichéen. Les scènes sont ciselées, découpées au scalpel et elles sont d'une richesse sémantique et d'une subtilité époustouflantes.

Au terme de l'atterrissage acrobatique, long travelling coeur au bord des lèvres, on pénètre dans une vaste demeure coloniale aussi désaffectée que les terres entrevues laquelle est le théâtre d'une friction cinglante entre le noir et le blanc déclinés et substantifiés à l'infini.

Au coeur de cette villa spectrale se déploie l'aura fantomale de "Madame", maîtresse des lieux, vieille douarière défaite et alitée (impressionnante Catherine Samie) qui déplore que ses dons soient mal perçus et fassent l'objet d'une interprétation erronée de la part des indigènes alors qu'elle les croit inconditionnels.

Dans les couloirs pénombreux erre la silhouette gracile de sa fille vêtue d'un aristocratique tailleur grège-beige. On la voit présider une table autour de laquelle siègent une palanquée de jeunes noirs somptueux à qui elle intime, jusqu'à l'hypnose, de scander des "Merci" avant qu'elle ne les autorise à se jeter sur le monstrueux gâteau crémeux qui trône au centre de la table. Après qu'ils sont rassasiés, ils catapultent, turbulents et jubilants, les restes à travers la pièce et cela donne lieu à une scène de pure dépense, de gratuité absolue qui est aussi une scène extatique.

mange_ceci_est_mon_corps_2On voit également, dans une inversion inspirée et exultante des "mamas" noires dans la plus pure tradition, s'essayer (avec succès !) à mixer des musiques du cru à la manière des DJ dernier cri. On voit encore le domestique affecté au service de "Madame" rôder dans les couloirs où glisse, vaisseau frêle mais altier, corps nu et peau d'albâtre, la fille de la maison. La fille, c'est Sylvie Testud, sidérante tant elle habite son corps, souple fétu, avec intelligence et justesse. Elle est d'une beauté singulière et si poignante que se communique à nous le désir qui affecte-infecte le serviteur qui l'épie. Le réalisateur, fort de son regard chamanique, a élevé Sylvie Testud au rang d'icône, elle devient une figure, un corps envoûtant qui nous hante.

Au centre de la villa se dresse une vaste cuve qui brasse en permanence le lait destiné à nourrir "Madame" tandis qu'elle agonise. Enfin, on voit, dans une salle nue, Sylvie Testud, buste osseux et dénudé, s'efforçant d'offrir un sein inexistant et non lactescent à un splendide enfant noir hurleur. C'est une scène d'une beauté coupante.

A la fin, une assemblée de noirs fardés, bigarrés, accoutrés avec la dernière extravagance se déploient, dyonisiaques, déchaînés, dans un carnaval improvisé.

 S'agit-il d'opposer Haïti, recel de forces vives bridées mais riche d'un potentiel explosif à la vieille Europe tarie ?

Rien n'est tranché bien que tout repose sur d'éblouissants antagonismes mais puisque tout est métaphore et onirisme, on est immergé dans la poésie la plus pure et les possibles s'ouvrent, abyssaux. C'est abstrait et pourtant gorgé d'une sensualité folle. Une expérience initiatique, mystique, extatique. Un choc, une transe, un chef-d'oeuvre.

BH 11/08

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