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 Marc Scialom par Livres-Addict.fr 

"Lettres à la prison" de Marc Scialom

image_scialomC'est un film exhumé, un film surgi des décombres. Un film miraculé et miraculeux.

Un mélange des genres insolite et très singulier. Une radioscopie sociétale des plus strictes, des plus sévères et précises traversée d'éblouissants, de coupants éclairs fantasmatiques, de fulgurances hallucinées d'une puissance et d'une acuité rares. Et la beauté n'est pas en reste.

Le film a été tourné en 1969. On suit le parcours d'un tunisien fraîchement débarqué à Marseille. Il est en quête de son frère dont on apprend qu'il serait incarcéré à Paris pour avoir assassiné à une femme. A Marseille le séjour qui aurait dû n'être qu'une halte se prolonge indéfiniment car notre jeune homme, frappé de sidération, reste captif de ce qui constitue son tout premier contact avec la France. Se développe, en voix off, un monologue monocorde, commentaire somnambulique adressé au frère parisien écroué et qui rend compte, par fragments disparates, de ce qui frappe et traverse le novice, le persan tunisien.

Les fils narratifs s'entrecroisent, se développent sur plusieurs fronts entrechoqués.

Notre homme rallie une communauté tunisienne installée à Marseille. Il déambule aussi, seul, à travers la ville, saisi, médusé, par tout ce qu'il découvre : le bouillonnement, la cadence frénétique des corps, la volupté, la pulpe provocante des femmes qui déferlent, robes florales échancrées ad hoc, seins et lèvres dardés. Explorateur, aventurier malgré lui, il fait simultanément l'expérience de la fraternité et de la stigmatisation. 

Au coeur des trivialités quotidiennes éclosent et explosent des scènes d'une crépitante poésie : des enfants rieurs, livrés à des jeux d'eau, cueillis dans toute leur bouleversante candeur, une bande de petits garnements s'essayant à faire fumer une cigarette à un caméléon...

image_scialomAux scènes prélevées sur le vif, s'ajoutent des séquences oniriques et amoureuses. Se succèdent les images emblématiques de l'idylle, stéréotypes lavés, renouvelés par la virginité du regard : notre jeune migrant est saisi, sur la plage abandonnée ou dans les rues désertes, en pleine étreinte transie et entransée avec une ravissante jeune femme.

Mais d'autres instantanés, à caractère dantesque, viennent concurrencer voire court-circuiter ces vignettes édéniques:  de manière récurrente, obsédante et hypnotique, vient s'interposer l'image d'un homme, seul dans un champ, qui décapite, avec une sauvagerie infernale, un épouvantail. Image traumatique qui fait office de scène primitive, de rappel symbolique glaçant. De même, le film est zébré, de manière répétitive, par la vision poignante d'une femmme, seule dans une chambre (d'hôtel?), sise sur une couche et qui relève au ralenti, ses cheveux, dans un geste d'une sensualité affolante, d'une beauté cisaillante. Peu à peu, cette image se modifie et la scène tourne au carnage...

Et notre jeune homme, joues creuses, corps efflanqué, visage et corps acérés, regard brûlant, traqué, halluciné, continue d'errer à travers Marseille, en proie au vertige de l'exil et proférant, à l'adresse de son frère, des paroles décousues, fiévreuses pétries d'étonnement autant que de désemparement et, progressivement, de plus en plus empreintes d'impuissance: l'auteur de ces "lettres à la prison" prend conscience qu'il est, viscéralement, dans l'incapacité de rejoindre Paris et son frère potentiellement meurtrier...

Presque toutes les images sont d'un noir et blanc sublime avec quelques incursion électriques dans la couleur.

Un film inclassable, d'une beauté sismique, d'une modernité absolue. 

Un grand film méconnu.

BH 12/09


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