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  Andreï Zviaguintsev par Livres-Addict.fr 

"Le bannissement" d'Andreï Zviaguintsev

bannissementC'est un film tout de splendeurs voilées et bientôt calcinées. Un film dès l'abord ombré d'une profonde mélancolie. Un homme, une femme pourvus de deux jeunes enfants sont en partance. Ils prennent des vacances, se retirent à la campagne dans une grande bâtisse où ils seront isolés de toute âme qui vive. Ttrès vite, cette période de villégiature s'apparentera à un exil brutal, un assèchement redoutable.

L'homme et la femme sont russes, ils sont beaux, ils sont encore jeunes et cependant une sourde menace semble peser sur eux.

Le cadre est grandiose mais presque asphyxiant à force de beauté solennelle et dépeuplée. Tant d'aride beauté écrase. Et le silence s'ajoute à l'isolement. Les époux, reclus dans leur splendide retraite se croisent comme des ombres ou alors ils se cognent, se heurtent en de brefs éclats qui retombent aussitôt mais nulle parole déliée, nulle confiance ne circulent entre eux. L'orageuse tension ne cesse de croître.

Le drame latent éclate lorsque la jeune femme annonce à son mari qu'elle est enceinte mais d'un autre. Ivre de douleur et de jalousie, l'homme (Konstantin Lavronenko bouleversant de justesse) confronté à ses propres limites, se terre d'abord, animal poignardé en quête d'une issue. Il se réfugie auprès de son frère, un homme fruste, violent, ravagé par la drogue, à qui il demande conseil. Lequel frère lui assène : "Quoique tu fasses, ce sera juste. Si tu la tues, ce sera juste, si tu pardonnes  ce sera juste aussi."

Finalement, l'homme exige que sa femme avorte et l'opération clandestine effectuée dans la froide et pénombreuse demeure, au fin fond d'une chambre spectrale, prendra un tour tragique ... Le film, quant à lui, acquiert une dimension proprement métaphysique lorsque, à travers un flash-back inattendu, on apprend que l'enfant était bien du mari ...

L'homme est à ce point devenu étranger à sa femme qu'il ne peut plus être le père de son propre enfant ... Avec l'annonce mensongère, l'écart ne cesse bien entendu de se creuser, c'est le mécanisme de la tragédie que la femme a enclenché, elle a jeté les mots de la perte comme si elle savait l'issue inévitable et qu'elle voulait seulement accélérer le processus. Dès lors, les forces noires se déchaînent et le ciel même, jusqu'alors relativement clément, se met au diapason.

Les époux sont deux blocs irréconciliables qui se font face. La compacité et l'intensité que dégagent ces deux corps silencieux sont prodigieuses. Ils sont bannis de leur propre vie. Des ondes se propagent d'une puissance atomique.

Les acteurs assument leurs rôles avec une rare majesté. Marie Bonnevie, l'épouse, toute de blondeur diaphane, promène son corps grevé, stigmatisé, gorgé d'un malheur qui parait millénaire. Quant à l'époux, il est un corps en perpétuelle combustion, la souffrance est son carburant, il est consumé jusqu'au dernier atome, il est la souffrance à l'état pur.

Le rythme, d'une lenteur extrême, rend possible une imprégnation, une incrustation même de chaque sensation. Tout s'étire : l'espace, le temps, la douleur, on touche à l'infini.

BH 03/08

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