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  Jakuta Alikavazovic par Livres-Addict.fr 

Jakuta Alikavazovic

 "Corps volatils" de Jakuta Alikavazovic (L'Olivier)

alikavazovicC'est un livre en apesanteur, peut-être même un livre sur l'apesanteur. Les personnages tiennent à peine au sol, ils semblent toujours en passe de s'évaporer et ce n'est donc pas un hasard si le narrateur, Colin, tire sa subsistance du trafic de narcotiques qu'il effectue pour le compte de Quentin, son colocataire, ami et accessoirement médecin véreux. Colin, donc, fournit en produits illicites des femmes vaporeuses, des élégantes poreuses que le sommeil fuit et qui courtisent l'oubli chimique. Mais son activité principale consiste à seconder Estella, son amie d'enfance perdue de vue retrouvée abruptement au début du roman et qu'il chérit avec une ardeur inentamée et une indéfectible dévotion depuis ses tendres années. Il est mandaté par Estella pour un certain nombre de missions à caractère plus ou moins occulte. Il s'agit de percer le mystère qui entoure la disparition de son père, John, suicidé, il y a de cela des années, figure marginale et fascinante, auteur d'un unique et mythique ouvrage : "Les narcissiques anonymes". Nos héros suivent des trajectoires obliques, ils vivent en diagonale, transversalement à toute vie réglée et rectiligne. Ils crachent du feu, déboulent des lieux désaffectés ou mettent à sac des appartements cossus qu'ils investissent d'une charge symbolique.

Tout se passe par glissements graduels dans un Paris lui-même déporté, comme dérivant, affecté par une sourde révolution tectonique et contaminé par une prenante étrangeté. Par exemple, au début du roman, Colin se brûle grièvement la main et, plutôt que de se soigner et de chercher à soulager sa douleur, il laisse délibérément s'aggraver la blessure, il laisse sa main en proie à la calcination. Il agit de même avec Estella : il se laisse entièrement brûler par elle.

Les élucubrations ambulatoires de nos jeunes gens sont serties dans une prose fort élégante, presque précieuse, traversée de fulgurances et de trouvailles jubilatoires. Les thèmes (le deuil, l'errance, l'égarement, le déchirement amoureux) sont graves et pourtant c'est la légèreté qui l'emporte. Tout au long du récit courent une ironie cinglante, un demi-sourire corrosif, une bizarre drôlerie, toujours féroce, parfois glaçante qui désamorcent tout pathos. Tout est d'éther et de cristal, ciselé et coupant. Tout est animé d'un lyrisme froid, sec, étrangement maîtrisé, étrangement réjouissant. Le surréel s'invite dans le réel, il y a des réminiscences bretoniennes, comme des échos de "Nadja". C'est étonnant, érudit et nébuleux, oviniesque, l'impression d'originalité ne se dément pas un instant, on a le sentiment de n'avoir jamais lu une chose pareille ce qui, pour un premier roman, constitue un tour de force.

BH 09/07

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