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 Joanne Anton par Livres-Addict.fr

"Liège, oui" de Joanne Anton (Allia)

Joanne Anton nous entraîne au fil d’une quête identitaire qui se déploie à travers un prisme particulier. Celle qui parle est une identité révoltée contre la convention qui, tyranniquement, replie une personne sur ses origines et, singulièrement, ses origines géographiques. Ce que la narratrice de Joanne Anton récuse, c’est son appartenance à la ville de Liège et ses connexions supposées avec elle.

La narratrice a élu domicile à Paris où elle s’est exilée volontairement. Elle a beau avoir quitté Liège depuis une bonne quinzaine d’années, les renouements, sporadiques et aléatoires, avec son berceau originel continuent de constituer, chaque fois, une épreuve. C’est pourquoi elle multiplie atermoiements et manœuvres dilatoires, elle espace ses retours autant qu’elle peut mais il arrive un moment où reports et tergiversations ne sont plus possibles, où quelque chose comme une horloge interne la rappelle à l’ordre car le retour s’impose, impératif. Ce que notre narratrice ne peut plus différer d’affronter, c’est le maternel : la langue et la femme, l’assignation à domicile et les tentatives d’annexion. La mère en question est, en effet, tracassière, chicaneuse, quasi tortionnaire par moments, pas disposée à céder à sa fille un pouce de terrain, une once d’espace souverain.

Notre narratrice, affligée d’une telle mère, si acrimonieuse et frappée d’aigreur qu’elles en sont toutes deux comme trouées d’avance, recourt à un procédé malin pour amadouer l’irrémissible. Elle instaure en effet une double distance avec le nœud conflictuel : elle s’apostrophe et se met en scène à la deuxième personne et délègue à une prosopopée, son « identité », le soin et la charge d’assumer la violence, toujours en passe d’éclater, qui couve et fermente entre les deux femmes.

L’identité de la jeune femme, écartelée entre Liège et Paris, est en effet bien malmenée. Elle est surtout, et sans trêve, convaincue de haute trahison par sa propre mère laquelle la crible de corrosives salves de dépit. Partout, la mère détecte l’apostasie : dans la langue, bien sûr, l’accent retranché, mais aussi dans les gestes puisque la langue imprègne tout, s’imprime partout. Puisque la langue est une gestuelle et la façon de se mouvoir une langue en soi, un territoire langagier à part entière.

Ainsi la langue devient-elle le lieu et l’enjeu d’un impossible affranchissement tant la narratrice est, sans discontinuer, dans la parole dépitée de la mère, plaquée au défaut d’origine (et il n’est pas indifférent que le père ne soit évoqué qu’en tant qu’évaporé), ravalée à cette défaillance originelle.

Jusqu’au jour où…l’amour s’en mêle et où, par la grâce du candide regard aimant, tout se revirginise y compris le lieu infecté d’affects…

Un texte pétillant et faussement léger, une langue alerte, vibrionnante, hautement inventive qui aborde des questions essentielles, tripales, avec une altière et merveilleuse élégance.

BH 01/13

              

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