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 Edith Azam par Livres-Addict.fr

"On sait l'autre" d'Edith Azam (P.O.L.)

Edith Azam est une corsaire du verbe. Elle sabre la syntaxe et se joue souverainement des codes de la narration. Elle nous jette, ex abrupto, à l'intérieur d'un "on" indistinct et singulier qui se trouve en état d'alerte. Un "on" reclus en ses appartements et perclus d'angoisse, soulevé de panique car il s'attend au pire, s'apprête à se voir assiégé par "l'autre", figure pressante, oppressante, figure de la menace par excellence.

S'engage alors un ballet préventif et défensif qui consiste, pour le narrateur, à parer les coups, à colmater les bèches sensibles, à conforter les bases précaires de la forteresse érigée. Il s'agit, non pas tant de repousser l'assaillant (lequel se précise et se diffracte en l'espèce de trois "chevalos") que d'occuper, à travers un monologue parasite et incessant, l'espace dévolu à la peur. "On" se fait alors le recel aspirant tout ce qui passe à sa portée : il inventorie les pensées (toutes insolites voire absurdes) qui le traversent mais il rend compte, également, de tous les menus incidents qui relèvent de "la vie matérielle" au sein de l'espace clos. Tout le texte se déploie en forme de manœuvre dilatoire car l'autre est aux portes, toujours importun, inopportun, harcelant, tambourinant le corps, vitriolant l'âme. L'autre toujours trop proche, toujours susceptible de violenter et de détruire.

Se fait jour, peu à peu, tout ce qui, dans l'altérité, déroute et agresse. Mais ce qui point, simultanément, c'est que les manœuvres protectrices se muent graduellement en acte créateur, en surgissement d'une longue radicalement neuve. Et c'est cette langue inédite qui est à l'œuvre ici, c'est elle qui tisse ce texte ébouriffant.

On est pris, surpris, envoûté d'un bout à l'autre par cette litanie étrange, cette incantation panique, rageuse et hypnotique.

BH 07/14

"Décembre m’a ciguë" d’Edith Azam (P.O.L)

Edith Azam doit ressembler à un elfe fouineur, un faune aux oreilles très pointues. Et très pointées. Car elle perçoit tout et capte même les infrasons, les vibrations pulsatiles, les pulsations sur basse continue, les mots inarticulés, imprononcés ou proférés dans une langue indéchiffrable, une langue qui n’est pas la commune, celle dite de la tribu.

Et c’est une écriture comme une arbalète qui ajuste son tir et jamais ne manque sa cible. Et c’est comme un haïku prolongé et qui s’attache à dire le plus improbable. Car le texte tout entier n’est rien d’autre qu’une manœuvre dilatoire et conjuratoire. Ce que la narratrice récuse de toutes ses forces et avec la dernière énergie, c’est la mort annoncée de la grand-mère adorée. L’échéance fatidique est fixée en décembre et le texte est une cantilène rageuse, une incantation insurgée piquetée d’inouïes verdeurs langagières.

A la dénégation modulée sur la fréquence du cri, se mêlent des éclats d’enfance enchantée vécus dans l’orbe de la bien-aimée ainsi que des notations erratiques et notamment une chronique, d’une intense et mordante poésie, du paysage hivernal lequel se fige toujours davantage dans le gel et l’engourdissement. Et la langue bondissante, cavaleuse, furibonde, éructante, invente à mesure ses propres modalités, ses salves et saccades enragées et des façons inédites, inusitées et saisissantes d’empoigner l’événement ou plutôt de l’expulser hors de soi.

C’était un pari risqué que de tenir, funambule, le temps d’un texte entier, sur ce fil si ténu.

Le résultat est bouleversant, le tissage textuel est d’une inventivité folle et il est d’une singulière beauté.

BH 03/13

              

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