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Zsuzsa Bank par Livres-Addict.fr 

"Les jours clairs" de Zsuzsa Bank (éditions Piranha)

C'est un texte plein d'eaux troubles, de lumières tamisés, de temps suspendus. C'est un poème en prose ou une prose quasi céleste qui couvre l'étendue d'un long roman et qui, cependant, pas un instant ne distille l'ennui ni ne donne le sentiment d'être abstruse, hermétique, affectée ou superflue. C'est si beau, si déchirable, qu'on tremble presque face à tant d'inespéré.

Ce sont des enfances dansées, des adolescences cabriolées, des lumières déposées et tout le tragique de l'existence filigrané, piqué en points si délicats qu'ils éraflent à peine. Et pourtant ils s'impriment profond, soulèvent silencieusement et bouleversent. Et, toujours, la grâce préside à toute chose.

Ce sont des enfances en lisière, des adolescences en marge, des jeunesses déportées vers l'ailleurs. Tout est toujours frappé du sceau de l'étrangeté. Ce sont des vies saltimbanques et fildeféristes sous la garde brouillée et dans le voisinage poreux d'adultes frappés en leur centre, atteints dans leur intégrité.

C'est un trio, Seri, Aja et Karl, un triangle indéfectible qui se constitue et grandit, dans les années 60, dans une petite ville du sud de l'Allemagne. Les trois enfants n'ont pour entourage proche que leurs mères respectives, les pères étant absents ou artistement écliptiques.  Les mères, elles , toutes en deuil d'un homme et d'un destin autre, offrent une présence étrange, entamée, claudicante, mais elles opposent néanmoins à l'adversité une résistance qui force l'admiration.

Aja est un gracieux ludion virevoltant que percutera le secret, tardivement descellé, de sa naissance. Karl est une beauté, un prodige qui traque, au travers de la photographie (dont il fera son métier), les instants décisifs. Ce faisant, il brigue désespérément réparation pour le rapt, jamais élucidé, de son frère. Seri, elle, est la narratrice, le coeur enregistreur, le témoin scrupuleux privé de tout trait saillant. Elle aura à affronter, entre autres choses, l'alliance soudain plus qu'amicale entre Aja et Karl et le basculement du triangle originel en quête d'un équilibre nouveau.

Le récit progresse par blocs et réseaux de sensations si finement ciselées et arrachées à l'indicible qu'on est cloué d'admiration. Tout, dans ce récit, repose sur la langue et ses intimes vibrations et infimes fibrillations. Ce ne sont pas tant les événements que les impressions qui importent. Et lesdites impressions sont si précisément décrites et délicatement ouvragées qu'on se trouve, à chaque page, en présence d'une œuvre d'art autonome.

La langue est, tout ensemble impressionniste, pointilliste, vaporeuse et d'une acuité rare.

On s'immerge dans une longue, une lente transe somnambulique dont on émerge ébloui comme jamais peut-être.

BH 03/15


"Le nageur" de Zsuzsa Bank (Christian Bourgois)

nageurC'est une voix pâle et presque atone, une voix d'eau étale qui traverse ce livre étrange et délicat. C'est la voix de Kata, une enfant qui raconte la Hongrie de 1956, le départ brutal de sa mère pour l'Ouest et le désemparement qui s'empare des autres membres de la famille : le père, abîmé dans le silence et dans ses rêveries hautement nicotiniques, Isti, le petit frère singulier  qui entend des choses "qui ne produisent pas de son" et elle-même, fidèle vigile, observatrice et accompagnatrice des deux autres.

nageur bisAprès la disparition sans préavis de la mère, le trio restant semble comme menacé d'implosion et de démantèlement. Plus rien ne les attache à ce qui constituait l'ordinaire et les socles de leur vie, ils sont désamarrés. Le père prend ses deux enfants avec lui, ils quittent leur ville d'origine et se mettent à sillonner le pays, faisant halte de manière plus ou moins prolongée chez des gens qui leur sont, des degrés divers apparentés.

C'est cette longue errance que restitue la jeune Kata, cette vie en lisière, à l'écart, comme affranchie des lois du monde et cependant aux prises avec les convulsions de ce même monde, une vie que les rescapés de l'abandon maternel s'inventent, une vie autre, étrange, étrangère, teintée d'onirisme. Kata voit tout. Elle dit et décrit. Les drames, les accidents, la désertion de ceux qui passent à l'Ouest, la mélancolie éternellement enfumée du père, son absence au monde. Mais elle dit aussi les infimes détails du quotidien, les confitures, les odeurs, les grâces qui viennent avec l'été, les cocasseries, la passion qui s'empare d'Isti lorsqu'il découvre la volupté d'être dans l'eau et de savoir nager, les premières amours poignantes de Virag la belle adolescente aux allures si libres, si dégagées ... Elle retrace, via des nouvelles reçues par la grand-mère, l'ingrat parcours de la mère passée à l'Ouest et soumise aux épreuves les plus arides. Après avoir pris connaissance de l'épopée maternelle, le petit Isti cesse d'attendre éperdument le retour de la femme prodigue. Grâce au récit, le récit, le deuil est consommé.

Mais à partir du moment où l'attente prend fin, la passion d'Isti pour l'eau, elle, ne cesse de croître ainsi que l'inquiétude déchirante qu'il inspire à sa soeur. Il faut à Isti, plonger, s'immerger et plonger encore. Jusqu'au drame.

L'auteur procède par petites touches sensitives presque picturales. Le style est d'une puissance singulière, inexplicable, tout se passe comme si les mots étaient directement reliés aux nerfs de celui qui en prend connaissance : cela relève quasiment de la sorcellerie ! L'écriture est nette, tranchée, dénuée de tout lyrisme et pourtant il se dégage de cette apparente sécheresse une étrange poésie, une alchimie prenante, une atmosphère vaporeuse et envoûtante qui tient le lecteur captif jusqu'à la la dernière ligne.

BH 03/08

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