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 Nick Barlay par Livres-Addict.fr 

"La femme d'un homme qui" de Nick Barlay (Quidam éditeur)

C'est un texte qui fulgure lentement. Un alliage insolite entre trépidation et ressassement. Entre percées fracassantes et délitement. Entre brusques accélérations, sorties de route inopinées et enfoncements dans les tourbes et les eaux les plus troubles. C'est une histoire qui déroute tout du long, à chaque angle, à chaque carrefour, mais c'est surtout une langue sans équivalent qui restitue, avec une précision métronomique, le tracé sinueux d'une quête à la fois heurté et comateuse. C'est la redoutable radioscopie d'une âme en pleine désintégration et c'est aussi le regard sans complaisance et même sans merci que porte un homme sur une certaine forme de perdition féminine.

La_femme_d_un_homme_quiC'est une langueur tout en alarmes, en chocs électrostatiques et en plongées traumatiques.

C'est une fuite et une chute immobiles, une lancée à fond de train dans une voie sans issue. Si l'intrigue est surprenante, son caractère déconcertant paraît très vite secondaire en regard de la singularité qui réellement prime et qui est celle de la langue. Une langue qui, sous des dehors galcés et aseptisés, charrie, bouscule, éventre, violente continûment.

Tout aussi singulière et saisissante est la figure de la narratrice: elle semble offrir un profil plein d'aspérités mais celui-ci se dissout à mesure, comme attaqué à l'acide, dans les troubles exponentiels qui l'affectent.

L'intrigue nous engage, avec Joy, la narratrice, sur les routes du territoire européen, dans une quête étrange. Aiguillée au fil d'un dangeureux jeu de piste, elle enquête, au travers des capitales européennes, sur la mort de son mari, survenue dans des circonstances troublantes. Joy pénètre des milieux interlopes et déviants et, au fil des découvertes sinistres voire glauquissimes qu'elle fait, elle mesure à quel point elle avait de Vincent, son époux, une parfaite méconnaissance. Comment faire coïncider la figure de l'époux avec cet homme aux agissements inavouables autant qu'illicites? La personnalité désunie de Joy se fissure  et  se diffracte toujours davantage à mesure qu'elle se confronte à ce vertigineux dédoublement.

Car ce qui happe, c'est moins ce que Joy débusque et les révélations fracassantes qui s'abattent sur elle en rafales, que les convulsions de sa conscience dans laquelle l'auteur nous plonge et qu'il transcrit en sismographe virtuose.

Et le lecteur est, d'un bout à l'autre, aux prises avec l'intériorité d'une femme qui n'est pas seulement altérée ou double mais multiple : polytoxicomane pathologique (à la fois alcoolique, anorexique et camée, dopée à l'hypoglycémie comme aux produits pharmaceutiques), Joy perçoit tout ce qui lui arrive en fonction et à l'aune des troubles psycho-physiologiques auxquels elle est sujette. Avec elle, tout est renversé, il n'est pas de système de valeurs fixe et priorités et proportions s'intervertissent sans cesse. Ce qui, à tout instant, régit le rapport au réel, c'est le degré de manque auquel le corps se trouve soumis. Et Nick Barlay réussit le tour de force de nous immerger dans ce corps satellisé et spasmodique au point de nous rendre sensible la moindre de ses oscillations. C'est un corps de manque et l'auteur fait de son texte cette trouée vertigineuse : le manque est le corps du texte, le texte est le corps même de Joy. Toute les perceptions de Joy sont énumérées, recensées, épinglées et circonscrites au fil d'une psalmodie maniaque, d'une  scansion hallucinée (pulsation affolée et ivre de contrôle) qui font de nous l'otage d'un esprit addictif, obsessionnel et aliéné. Et le fait que la litanie obsédée soit tout entière déclinée à la deuxième personne du singulier rend plus prégnant encore le sentiment d'inquiétante étrangeté et de redoutable familiarité qui tous deux prennent aux tripes dès les premières lignes.

Bien que Joy ne soit pas un personnage sympathique, on est rivé, irrépressiblement, à elle. De même, la langue qui épouse les flux de conscience qui la traversent n'est pas séduisante, elle est rêche, âpre, clinique, durement syncopée et pourtant elle exerce une fascination qui est sorcière.

Et Nick Barlay est cet ensorceleur qui réalise un portrait de femme d'une puissance et d'une modernité sidérantes.

BH 12/11
           

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