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 David Boratav par Livres-Addict.fr

"Murmures à Beyoglu" de David Boratav (Gallimard)

image_borotavDavid Boratav orchestre avec brio un voyage tant spatial que mémoriel. Il dessine avec ses mots des arabesques ouvragées.

Voici un homme qui plonge dans les limbes de son passé, un passé dont il a été spolié. Il tutoie les fantômes de son enfance et s'essaie, en même temps, à apprivoiser les formes neuves du lieu originel. C'est une percée verticale et une exploration longitudinale.

Lorsque débute le récit, le narrateur, londonien d'adoption, est engagé, depuis un temps certain, dans un processus de perdition. En proie à une insomnie d'abord récidiviste et désormais chronique, il mène une vie déréglée, gouvernée par des perceptions altérées et il oscille entre langueurs comateuses et états excerbés. Quinquagénaire, divorcé d'une femme somptueuse et adultère par dépit, il est aussi le père d'un jeune homme avec qui il entretient des rapports très distendus. Homme vacant, désenchanté, en passe de tomber dans la déréliction, il n'est plus retenu  à Londres par aucun lien essentiel. Il vit une vie d'emprunt, la vie d'un homme-lige ou d'un avatar de lui-même. A bout de ressources, il se résout à consulter un psychanalyste dont les vertus curatives lui paraissent sujettes à caution. Destitué de lui-même, en rupture avec son métier de chercheur scientifique, c'est un homme qui vit une vie funambule, une vie suspendue, une vie de veille forcée laquelle s'égale bientôt à une hypnose perpétuelle, un onirisme forcé.

Bien qu'un ultime sursaut l'ait engagé dans une liaison avec une pétulante et séduisante Esther, de très loin sa cadette, il décide de tout quitter de ce qui constituait sa vie depuis des décennies et de revenir sur ses pas perdus, dans la ville de ses origines, Istanbul.

Il retourne au berceau de son enfance, dans le quartier de Beyoglu, sis sur les rives du Bosphore, terrain miné, épicentre excentré des turbulences et dissensions qui agitent et agissent la ville.

Notre homme croyait vouloir et pouvoir se retrouver mais c'est pour mieux se perdre. Il ne reconnait rien de l'Istanbul quittée des années auparavant, il ne reconnait rien de lui-même dans le miroir défait et déformé de ses jours anciens.

Cela donne lieu à un récit qui alterne l'évocation minutieuse d'une enfance comme d'une ville turques révolues et la chronique d'une déambulation erratique dans l'Istanbul décalquée et altérée. Classiquement, le narrateur, étranger à Londres dans laquelle il ne s'est jamais fondu est cependant, et du fait de l'exil, devenu autre et donc étranger à ses propres racines. Il n'est plus soluble nulle part ce qui explique peut-être son état de suspension, cette impossibilité à trouver le repos, cette insomnie perpétuelle en passe de devenir mortelle.

C'est à voyage au plus fort et au plus faible de soi que nous convie David Boratav. Un tardif mais salubre parcours initiatique : c'est en consentant à son état de perdition et même de dissolution que le narrateur sort de suffocante impasse. Le texte est aussi une extraoridinaire évocation des deux Istanbul, la passée et la présente qui ne se recouvrent et ne concordent plus guère. L'Istanbul ressuscitée et la fraîchement redécouverte nous apparaissent au travers de descriptions minutieuses. L'écriture, toute en courbes et élégantes volutes, épouse au plus près les pensées et les perceptions du protagoniste. Le style, précis et lyrique à la fois, trahit un souci d'exacte restitution mais aussi le désir de célébrer la poésie que recèle chaque instant pourvu qu'on pose sur lui un regard "d'étranger" disposé à s'émerveiller.

Et, de fait, le texte est un régal sensoriel, un festival d'évocations olfactives, gustatives, auditives aussi lesquelles priment sur le visuel brouillé par l'état quasi halluciné de notre insomniaque chronique.

Ce récit dépressif est gorgé de vitalité et c'est un formidable hymne à la vie.

On suit le fil funambule d'une vision malade, détraquée qui, paradoxalement, magnifie et envoûte.

BH 04/10

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