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 Cristina Campo par Livres-Addict.fr

"Lettres à Mita" de Cristina Campo

cristina_campo2gCe n'est pas un livre, c'est une grâce accordée. C'est le fourmillement du sang, la scansion de la vie sur la plus haute portée de l'âme. Une âme très noble, taillée à vif, effilée sur le tranchant de la plus haute exigence. Une voix céleste et cependant aux prises, tout du long, avec les tourments du siècle. Avec, notamment, les limites du corps et celles des êtres. Le feu spirituel est ici tenu dans le gel paradoxal d'une écriture de cristal. Voix perlière, voix sourcière et minière qui extrait les joyaux des entrailles sourdes et brûlantes de la terre.

Cette voix, c'est celle de Cristina Campo, toute de feu clair et de pure verticalité. Voix, en tous  temps anachronique, qui émet sur des fréquences bien trop élevées pour le commun des mortels.

De l'âge de 29 ans jusqu'à sa mort en 1977, elle a entretenu une correspondance suivie avec Margherita Pierracci dite Mita, future essayiste de sept plus jeune qu'elle. Correspondance de haute tenue et de très haute teneur. Seules les lettres de Cristina Campo nous sont restituées or l'on aurait aimé que nous parviennent aussi celles de Mita, que les tonalités distinctes se fassent entendre car les traits distinctifs ne se dégagent jamais mieux que dans le rapport d'altérité. Il eût par ailleurs été fascinant de pouvoir mesurer comment Mita, prise dans l'orbe de Cristina, évolue et se module. Mais peu importe, nous voici face à la basse continue de Cristina laquelle irrigue seule ces pages d'un fluide feu dont seule la mort couchera définitivement les flammes.

A l'origine, ce qui rapproche les deux épistolières, c'est leur commune fascination pour Simone Weil dont l'influence, prégnante, s'étendra sur la vie entière de Cristina. Mais ce qui fait que la relation dure et s'écrit du point fusant jusqu'au jusant, cela relève du mystère alchimique, cela tient aux qualités respectives de ces deux femmes qui surent s'étreindre l'âme d'un continent à l'autre et durant un temps qui n'est pas comptabilisé par celui des horloges.

De quoi est-il question dans ces lettres ? Très peu de place est accordée à l'anecdotique si ce n'est pour évoquer les maux du corps, nombreux, fréquents, qui affectèrent Cristina et ses proches. Mais rien ne relève en vérité moins de l'anecdote que l'état du corps, des corps car l'écriture, vitale pour Cristina, y est intimement liée et qu'elle eut, par ailleurs, plus que sa part de souffrances physiques, étant nativement affligée d'une malformation cardiaque qui lui valut, sa vie durant, de régulières syncopes et angoisses térébrantes.

cristina_campo1gCes poignants empêchements pathologiques s'inscrivent dans la trame des jours que Cristina voue à la lecture, à l'écriture, à l'amitié, à la réflexion toujours plus pointue et affinée.

Au mitan de la correspondance, un tournant se dessine : l'âme effectue un bond, franchit un cap et un point de non-retour. Sa gangue fendue, ses contours décantés, elle ne cache plus sa nature essentiellement mystique et diffuse son pur rayonnement.

Le prégnant et les préoccupations restent les mêmes : l'émerveillement, l'effroi et la douleur de vivre, le souci des proches, l'amitié vécue (comme toute chose) avec ferveur, l'extrême exigence qui préside aux lectures, à l'écriture, aux relations humaines, la solitude, constitutive, presque incompensable et irrémédiable, l'exil intérieur qui est le lot de toutes les âmes d'exception... Tout demeure, donc, mais tout est soulevé d'un souffle inédit qui fait trembler la page, irrigué d'un feu sans précédent, un foyer qui propage partout ses incendies miniatures, lesquels sont l'indice du passage définitif dans la dimension autre, dans l'illimité qui happe et aspire sans retour.

Quant au coeur... Il y a dans les "lettres à Mita" des élans du coeur, des adresses incantatoires, des mouvements d'enveloppement, de sollicitude et de profonde gratitude et il y a des conjurations, presque des suppliques (Cristina presse Mita de lui écrire, de lui donner des nouvelles, de ne pas rester sans lui écrire) mais tout ce qui semble relever de l'épanchement est en réalité contrôlé, tenu dans le maillage serré d'une langue vive et fluante mais ausi coupante.

Et nous voici au coeur de la question du style. L'instante exigence qui anime Cristina Campo est lisible d'abord et bien sûr dans son écriture. Fût-elle à usage non public, contenue dans le cercle de l'intimité.

Chaque mot de Cristina Campo semble pesé sur une balance céleste, modulé afin qu'il délivre l'exact pesant d'âme qu'elle souhaite y mettre. Phrases tranchantes, taillées à hauteur de diamant, pur cristal de l'expression sans repentir, sans un mot, une virgule qui puisse rejoindre la déchetterie, la prose de Cristina Campo côtoie une telle perfection qu'elle devrait être furieusement jalousée par tout écrivain digne de ce nom...

BH 07/10

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