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René de Ceccatty par
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"Raphaël et Raphaël" de René de Ceccatty (Flammarion)
Voici
un
texte roué,
moiré, qui captive, requiert, éblouit. Qui égare aussi. Kaléidoscope
d'émotions et d'idées virtuoses.
Un texte qui tourne et tournoie, obsessionnel, entêtant, sur lui-même et n'hésite pas à interroger ouvertement ses propres fondements, à mettre en cause et en danger les principes mêmes et les conditions de son existence.
Il est question, dans ce récit, d'un amour.
Grillagé et étranglé à la base. Il est question de l'amour quand il dérape et s'opiniâtre sur des sentes tortueuses. De l'amour quand il se contorsionne et revêt des formes improbables. Quand s'érigent, face à son cri, des parois hermétiques, un silence hérissé de piquants.
Mais il est aussi, et beaucoup, question de l'écriture et c'est en cela que réside la saisissante singularité de ce texte. Avec une intrépide liberté, René de Ceccatty fait fi aussi bien du "pacte autobiographique" que du "mensonge romanesque". Il dynamite hardiment toutes les illusions nécessaires pour que le lecteur adhère aveuglément au mécanisme romanesque. De même, il torpille les codes et dispositifs de la narration classique. Il invente une nouvelle dramaturgie, nous plonge en plein coeur du processus créateur et nous fait les témoins des oscillations et tremblements qui accompagnent cet étrange phénomène.
Le narrateur est empêtré, incarcéré dans une relation suspendue, un amour ni mort ni vif mais qui l'absorbe tout entier. Il aime (encore furieusement) un certain Raphaël qui se dérobe et avec qui ses rapports ont pris un tour abstrait puisqu'ils se limitent désormais à de métronomiques et frustrants déjeuners désincarnés.
Or, ledit narrateur ne sait comment rendre compte de cette interminable agonie qui est, certes, une mort à l'oeuvre mais aussi une plaie à vif, un amour criant, béant. Comment dire ce qui est quand c'est si mêlé, complexe et fait du choc constant entre des antipodes ? Comment dire la matière même de l'amour si meuble, mouvante, orageuse et sismique.
Et le narrateur, donc, s'interroge ouvertement face au lecteur. Il se demande s'il lui faut, oui ou non, sacrifier au sempiternel et sacro-saint détour par le récit fictif. Il s'interroge sur la validité de cette démarche : quelle valeur ajoutée pourrait fournir un récit de fiction quand l'amour saisi au plus près de la vie crue recèle toute l'intensité possible ? S'agissant de l'amour (et ne s'agit-il pas toujours de cela ?), les récits purement romanesques ne sont, aux yeux de René de Ceccatty, que de piteux pis-allers.
Et puis, subitement, le texte bascule : le narrateur rencontre fortuitement, au cours d'une soirée, un "fantôme", une apparition qui éventre le temps, une survivante surgie des temps révolus. Il s'agit d'une vieille amie perdue de vue depuis des décennies et qu'il baptise "l'ombre blonde". Or il se trouve que cette femme, en veine de confidences, va faire au narrateur, une nuit durant, le récit de son amour empêché, entre abîmes et extases, pour un autre Raphaël, homosexuel lui aussi, et pour qui elle nourrit une passion sensiblement similaire à celle que le narrateur porte à son propre Raphaël.
Le jeu d'échos, d'analogies, d'effets de miroir se fait alors vertigineux et tournoyant et la frontière entre "réalité" et "fiction" se fait des plus ténues de même que celle qui sépare le "mensonge romantique" et la "vérité romanesque".
La langue est subtile, élégante, mais c'est surtout le processus qui saisit : avec une virtuosité confondante, René de Ceccatty nous balade entre les strates et les modalités de l'écriture autobiographique.
Il vire, opère des déplacements de perspectives et de priorités, jette une lumière crue sur des détails infimes que les autres ignorent ou dédaignent et que lui fait saillir et projette au premier plan.
Il nous introduit au coeur même de la supercherie qui régit l'approche autobiographique et, ce faisant, il nous hale, avec une agilité rare et une force de pénétration stupéfiante, vers des vérités insoupçonnées.
Une lecture proprement étourdissante.
BH 05/12
Retrouvez également l'interview de Rene de Ceccatty par Bénédicte Heim sur le podcast des Contrebandiers éditeurs.