Un texte qui prétend peindre et portraiturer un
autre mais
dont le geste (et la geste) consiste à débusquer l’autre en soi.
L’auteur se propose en effet de brosser le portrait de Julien Lescarret, jeune toréador solaire qui l’aimante et dont le sourire troue la grisaille quotidienne. Il se voit cependant contrecarré, débouté sans cesse de son entreprise initiale. Car, tout absorbé qu’il est par la figure de Julien et par son désir de la capter, il est rattrapé par un flux impérieux qui le porte à se tourner vers lui-même et à se faire le diariste de sa propre vie éclatée, de ses débâcles quotidiennes. Vie éclatée, vie en morceaux car notre homme vient de se faire quitter par sa femme et son journal consacré à Julien, ne conte rien d’autre, au fond, que la quête éperdue de l’amour enfui.
Cette quête épouse les formes successives des
femmes
(lesquelles prêtent du reste leurs prénoms aux « chapitres »
du
livres) croisées, frôlées, désirées, brièvement étreintes ou seulement
approchées et perdues, elles aussi.
Il y a Jane l’amazone qui revendique sa
bisexualité et sa
liberté inaliénable et qui a fait, dit-elle, « une croix sur
l’amour ». Il y a Zora, corps étranger, corps sombre et
magnétique, Zora
au corps d’enfant dont l’excessive maigreur trahit une détresse bientôt
insoutenable pour l’auteur. Et il y a Myriam, ensuite, scintillante
promesse
qui, au dernier moment se dérobe, se soustrait à tout. Et Bérénice,
enfin,
épistolière de charme mais qui se refuse à toute rencontre effective,
physique
car elle ne veut pas devenir « de la chair à texte » ni «
une muse
en extase ».
Et entre les femmes, entre les étreintes furtives
et les
coups portés et encaissés, il y a un homme au corps désolé, à l’âme en
charpie.
Un homme qui part à vau-l'eau et, désespérément, tente de s’arrimer. Un
homme
qui s’agrippe aux branches de l’arbre généalogique, qui se cramponne à
sa paternité,
à son fils, sa fille lesquels, eux aussi, achèvent leur mue et
fomentent leur
envol, leur échappement définitif.
On a donc là un drôle de précis de décomposition.
Une
radioscopie des contemporaines amours décomposées et des subséquents
désarrois
masculins. Tandis qu’il commente et consigne le parcours heurté de
Julien
Lescarret, l’auteur, lui, torée avec les mots. Chaque phrase semble en
effet
conçue comme une estocade, comme un coup de grâce. Comme si notre homme
voulait
faire la peau à la langue cependant qu’il éructe sa vie.
Un corps à corps impressionnant.
BH 07/12