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Bérangère Cournut par Livres-Addict.fr 

"L'écorcobaliseur" de Bérangère Cournut (Attila)

EcorcobalieurC’est un livre qui tangue, porté par une houle cadencée, tour à tour heurtée et dansante. La typographie même en est affectée, hérissée, irrégulière qui semble mimer le ressac, les flux, les embruns, les éclats écumeux.

Nous sommes transportés à La-Mer, lieu improbable, île énigmatique sise au large d’une ville nommée Menfrez. Dans ces contrées reculées, un drame agite la population et cristallise les passions.

Mais qui est l’écorcobaliseur ? C’est d’abord le membre d’une fratie où chacun (l’unique fille et les deux garçons) porte un nom droit échappé d’une fantasmagorie mescalinisée du sieur Michaux sous le patronage de qui l’ouvrage est du reste placé. Outre le benjamin, l’écorcobaliseur du titre éponyme, il y a l’aîné baptisé l’anicétonque et la cadette qui répond au nom de l’isandreline.

Ce trio, élevé par des parents de fortune, est sans origines assignées et il est indissoluble.

L’isandreline, centrale et seul élément féminin, est investie d’un office particulier : il lui appartient de créer du liant, de jouer un rôle modérateur, de tempérer les crises qui éclatent entre ses frères dont les personnalités outrées (belliqueuse pour l’aîné, d’une étrangeté absolue pour le benjamin) et antipodiques se frictionnent sans relâche.

La triade n’en est pas moins soudée, cimentée, exaltant une commune appartenance et vivant dans une adhérence inconcevable pour le commun des mortels, adhérence d’autant plus nécessaire que l’écorcobaliseur souffre d’une défaillance du bulbe lequel, s’il n’est pas alimenté par les fluides de la fratrie rassemblée,se détraque.

Or, le récit commence au moment où cette déglingue est devenue effective. La fratrie s’est malencontreusement dispersée et une rumeur persistante parvient aux oreilles de l’isandreline : l’écorcobaliseur aurait disparu et l’on aurait récemment aperçu brandissant en guise de trophée la tête décapitée de son frère.

Sommée par l’impérative nécessité fraternelle (laquelle tient plus de la pulsion cellulaire que du pacte raisonné), l’isandreline décide de regagner La-Mer afin d’élucider cette affaire. En elle affleurent, très fort, les présomptions en faveur de l’innocence de son frère. Il lui revient de faire le jour et de restaurer la fusionnelle harmonie perdue. Elle sera l’enquêtrice et la narratrice. Le même rôle lui échoit à nouveau, elle endosse la responsabilité majeure : celle qui consiste à ravauder le tissu fraternel déchiré mais aussi à consigner et à conter pour faire jaillir le sens à partir du brouet opaque qui lui est livrée. Elle se fait à la fois thaumaturge et poète. Elle s’embarque impromptu sur une goélette dont le capitaine est un vieux loup de mer, idéalement maigre et bourru. Au fil de la traversée, elle remonte le cours de ses souvenirs et des convulsions fraternelles. Elle se souvient de l’enfance et de la singularité immédiatement avérée de l’écorcobaliseur lequel « est hanté par un vide hors du commun » et « n’existe cérébralement que lorsqu’il est stimulé par le cerveau des deux autres ». Alliance essentielle, donc, s’il en fut ! Elle se souvient des inconduites, des irrévérences, des exactions et forfaitures du trio. De leur foncière impossibilité à se fondre, à se rendre solubles. De la mort du père suivie par l’évaporation de la mère. De Marcello et Margie, couple on ne peut moins exemplaire mais on ne peut plus attachant, qui recueillit le trio en rade. De la désertion – défection progressive de l’anicétonque dont le mariage avec la belle Elise entérine la dislocation de la fratrie…

En plein cœur de la traversée, la ravissante tête de sa belle-sœur roulant à ses pieds livre à l’isandreline la clef de l’énigme : elle se souvient de la technique de "l’étêtement alternatif " mise au point par le trio entransé et qui permettait de se guillotiner mutuellement sans dommages…

Avant que le fin mot de l’histoire ne soit livré, on croisera encore une escouade de bédouins revêtus de tuniques bleu-nuit et de mystère et quelques autres personnages fracassants….

Un récit qui tient de la fable foutraque, du poème halluciné et de la galéjade. Un texte jailli comme un éclat de fraîcheur et un éclat de rire.

Dépaysement garanti ! 

BH 11/08

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