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 Céline Curiol par Livres-Addict.fr 

"Exil intermédiaire" de Céline Curiol (Actes Sud)

image_curiolCéline Curiol nous entraîne dans un voyage sonore. A la rencontre de New-York, appréhendée à travers les voix et les rumeurs qui s'y déploient.

Deux femmes, une ville. Deux femmes à l'aube du nouveau millénaire, à un tournant de leur vie personnnelle, amoureuse, une ville, New-York. Deux femmes sans connexions apparentes, inconnues l'une de l'autre et que seule rassemble la ville qu'elles investissent le temps d'un week-end, celui du 4 juillet, le temps nécessaire pour s'ausculter et déterminer l'orientation qu'elles vont imprimer à leur existence.

La ville bruit, mugit, rugit et accompagne de ses clameurs les interrogations intimes.

Au départ, tout est mêlé comme dans les eaux de la Genèse : voix, histoires, temporalités, rien n'émerge clairement, aucune silhouette ne saille distinctement.

Milena est la première à apparaître, la première dont les traits se dégagent. Française d'origine, mariée depuis dix ans, tant par commodité que par amour, à Peter, un américain de facture classique, elle est aussi un écrivain suspendu, en mal de confiance et de matière. Non pas que la matière à traiter lui fasse défaut mais elle est entièrement requise par l'office de vivre, par la vie immédiate, instante.

Elena surgit plus tard et sous une forme plus confuse. Ses angles sont moins vifs, sa personnalité moins dessinée. Elle est, avant toute chose, l'épouse de Martin, un homme brillant que son emploi prestigieux amène à fréquemment se déplacer.

Ces deux femmes vivent depuis longtemps dans une douleur sourde, informulée qui, tout à coup, les digues du non-dit étant rompues, va trouver un mode d'expression.

Au début du texte et assez longtemps, l'auteur nous égare délibérément. Le récit progresse par à-coups, embardées et volte-face labyrinthiques. On passe sans crier gare de la première à la troisième personne, du monolgue intérieur au récit distancié et cela sans que soient à jamais précisées, marquées, l'identité et la vie explorées. A cela s'ajoute une nouvelle source d'énigmes : des lettres très amoureuses qui émaillent le texte, signées de l'initiale M. et émanant indifféremment, alternativement, d'un auteur masculin ou féminin.

Des arabesques se déploient qui nous déroutent et nous envoûtent.

Elena et Milena, revisitent des états émotionnels qu'elles ont traversées au cours des dix dernières années. Restituant des scènes quotidiennes et emblématiques avec un luxe de détails souvent crucifiants, elles interrogent le processus de désagrégation qui a mené à l'actuelle faillite de leur vie amoureuse.

Les trajectoires paraissent antipodiques car Milena s'est progressivement détachée de Peter, s'accordant même la bagatelle d'une liaison avec un écrivain prestigieux tandis qu'Elena se cramponnait à un Martin de plus en plus évanescent et dont l'opacité la convainc qu'il s'est mis à aimer ailleurs. Autant Milena se dresse, résolue et percutante, apparemment maîtresse d'elle-même et de sa vie, autant Elena se dessine fragile, dépendante, proie de ses incertitudes et de ses angoisses lesquelles culminent dans des attaques de panique qui la foudroient. Mais les deux femmes se rejoignent dans l'ombre portée de l'amour qui s'en va, du duo qui se délite. Et Milena, qui paraissait si assurée, s'effrite dans les doutes qui la poignent et qui corrodent aussi bien l'amour que la force créatrice toujours en fuite.

Portraits croisés et récit d'une double odyssée intérieure, le texte va fouiller les zones d'inconfort que recèle nos vies et c'est à une saignante mise à nu qu'on a à faire. Il est question, dans les deux cas, de se réapproprier une identité menacée, de restaurer une intégrité malmenée.

Récit de combat, mais récit sur le fil, sur le tranchant d'une quête sans réponse univoque, "Exil intermédiaire" nous aspire dans sa spirale interrogative et la beauté du texte réside autant dans ce  qui est pointé avec une lucidité acérée que dans ce qui demeure secret et in connaissable. C'est l'une des choses précieuses que Céline Curiol nous réapprend : les trouées, les échappées belles recèlent autant de sens que les développements explicites.

BH 01/10

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