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Marie Delos par Livres-Addict.fr
"L'immédiat" de Marie Delos (Seuil)
C'est
un récit en forme de fugue, une évasion réussie, une coupante et
mélodieuse éclosion, tout entier irrigué de musique, placé sous le
signe et la haute garde de Prokofiev.
Il est question d'une jeune bruxelloise qui n'en peut plus des bornes mutilantes de son quotidien, de l'existence rectiligne, préfabriquée, autoroutière qui se profile, dont ses congénères s'accommodent mais qu'elle aspire à fuir.
Anne est encore un être en puissance, une jeune femme flottante et funambule, qui part pour s'éprouver et trouver ailleurs de quoi s'étoffer et se consolider.
La voici à Séville. Officiellement, elle y est pour donner des cours de français - langue étrangère mais c'est là l'alibi nécessaire pour couvrir sa désertion. Ce qu'elle cherche, c'est à se construire et se combler sous les effets conjugués de la vacance et de la musique. De l'exil et de la litanie obsessive. Anne est une forcenée de la justesse qu'elle traque partout, aussi bien dans ses relations avec les êtres que dans son rapport aux lieux: ce qu'elle convoite, c'est une immersion musicalement irréprochable dans l'espace. Notre exilée volontaire se lie avec une jeune femme, Imma. Comme Anne, elle est enseignante, elle pratique intensivement le piano et se déclare fondue de musique. Ce pourrait être un répondant, une âme alliée si ce n'est qu'elle vit tout, musique comprise, sur un mode affreusement normopathique, dénué d'âme. Anne nourrit envers Imma des sentiments mêlés, son attirance se teinte d'ambivalence. Comme Imma, suradaptée, slalome avec aisance dans la vie courante et entre les codes, Anne en conçoit de l'envie mais elle est dans le même temps, horrifiée par l'othonormie de cette femme, par les antennes et l'acuité qui lui font défaut.
La vie d'Anne, à Séville, consiste à dispenser quelques cours mais surtout à déambuler dans les rues, portée par le second concerto de Prokofiev dont les harmoniques et les modulations lui dévoilent les arcanes ainsi que la géomètrie secrète de la ville. Adolescente, elle s'était fait ce serment : elle jouerait ce morceau, élevé par elle au rang de mythe, avant qu'elle n'ait 22 ans. Or, lorsque débute le récit, la date butoir est dépassée depuis 5 bonnes années et quand Imma, insoucieuse, clame qu'elle "joue du piano", quelque chose s'effrite en Anne, elle s'éprouve spoliée de son rêve et de toutes ses forces vives.
Dans le même temps, elle découvre les dures lois qui régissent la vie des enseignants peu disposés au conformisme, peu équipés pour faire face à une meute grégaire. N'étant plus entransée et transcendée par Prokofiev qu'Imma, par son outrecuidance, lui a ravi, elle se trouve d'autant plus démunie. Peu à peu, cependant, elle parvient à imposer sa manière hétérodoxe de faire : elle lit avec emportement, devant une classe médusée, des textes de Victor Hugo qui l'exaltent et progressivement sa ferveur emporte l'adhésion des élèves.
Une autre vie percute la sienne : celle d'Horacio, un jeune homme à qui le propriétaire a loué l'appartement mitoyen du sien. D'abord indisposée et même excédée par cette intrusion qui contrarie ses exigences de silence, de solitude tout autant que ses projets musicaux, elle éconduit assez férocement le jeune étranger, l'expulsant sans ménagement et suscitant sa légitime fureur. Saisie de remords, elle le poursuit, le rattrape in extremis et il se noue, entre les deux jeunes gens, une amitié singulière et délicate. Exilé lui aussi, Horacio est venu à Séville dans le but de retrouver une jeune gitane pour laquelle il a conçu, lors de son précédent séjour, un amour fou. Anne et Horacio sont tous deux quêteurs et guêteurs et ensemble, ils écument les bars nocturnes.
Contre toute attente, ils finissent par débusquer la divine et Horacio, extasié, se volatilise avec elle. A l'instant où elle le perd, Anne prend la mesure de ce que le jeune intrus représentait pour elle et son désespoir est à l'aune de sa soif d'absolu. Dès lors, tout se détraque dans la vie de la jeune femme, il ne saurait plus y avoir de musicalité nulle part. En forcenée du désastre, elle provoque sa propre faillite laquelle se convertit en une insolite et insolente délivrance.
Ecrit dans une langue très pure, d'un classicisme diamanté, ce récit conte, avec une finesse rare, l'"identification d'une femme", l'émergence d'une personnalité et d'une voix.
A suivre de très près!
BH 03/09