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Roxane Duru par Livres-Addict.fr
"Petits pains au chocolat" de Roxane Duru (S. Million éditeur)
C'est
un texte déroutant. Tout de hérissements, d'entrechoquements
contrastés. Un texte heurté avec, par intermittences, des coulées de
douceur, des salves de poésie pure.
Soit Lou, 18 ans, fraîchement débarqué de sa province ensoleillée qui va, le temps d'une saison, se frotter, au sein d'une estivale prépa Science Po, à d'imbuvables nantis, taillés sur un modèle interchangeable, égaux en morgue et nonchalance étudiée.
L'originalité du récit est qu'il se présente sous la forme d'un blog avec inclusion des commentaires crachés par les internautes.
On y découvre Lou en ses états d'âme outrés, on la découvre entre tribulations, turpitudes, fureurs, flamboyances et déliquescences de fin d'adolescence. Elle loge dans un foyer d'étudiantes qui ont pour particularité d'être allemandes et catholiques.
Elle rend compte d'un triple exil : social, géographique et amoureux car cet été-là est celui du basculement dans la passion -funeste comme il se doit. Ladite passion prend pour cible un écrivain (idéal spéculaire ?) auteur de polars qui n'est plus de toute première fraîcheur, roule des mécaniques sur sa moto chromée et se conduit envers Lou comme le plus parfait des cuistres. Lou oscille entre fascination, rage et déréliction car ce rustre pose au séducteur, affiche sans vergogne ses conquêtes, précipitant notre jeune fille dans les affres de la jalousie rétrospective.
D'autres figures plus météoriques, traversent le récit. Il y a d'abord Garance, condisciple de la prépa qui tranche sur les autres impétrants par sa gouaille, son esprit frondeur et primesautier, sa verve débridée. Garance est un feu-follet qui bouscule Lou, s'essaie à la tirer de ses tourbes sentimentales, de ses sombres ressassements. Apparaît aussi Virgile, amoureux limpide, plaisant, prévenant mais trop possible pour notre jeune Bovary éprise de romanesque et d'amours térébrantes.
L'écriture crisse, halète, trébuche, elle s'accidente, connaît embardées et estrocades. Lou, Lolita béquillante et éructante, souffreteuse et enragée, slalome malhabile, elle s'empêtre dans les clichés, dans l'épaisse et vide matière de sa vie.
Les
ruptures de ton sont saisissantes. Lou élabore une véritable poétique
de la ville, saisie dans ses instantés scintillants, éclats fugitifs et
fusillants, captés avec une rare acuité et restitués dans une langue
riche, noble, pleine de hauteur, fourmillante d'inventivité. A ces
passages gouvernés par une grande exigence, succèdent abruptement des
"billets d'humeur" rédigés dans une langue lâche, encolérée et colorée,
frisant la
vulgarité, sacrifiant aux poncifs "branchés" et "trash" de l'époque. Et
singulièrement, les scènes d'amour avec l'écrivain qui devraient être
le lieu du plus emporté, du plus brûlant lyrisme, voient culminer
l'usage de ce langage plus que commun, preuve s'il en fallait, que cet
amour n'est pas vécu sur un mode aristocratique et transcendant.
Quant aux réactions prétendument transcrites des internautes, si elles sont brutales, sans complaisance pour Lou, elles brillent aussi par leur caractère primaire, leur absence totale de hauteur de vue.
S'esquisse ainsi le portrait d'une postadolescente en pleine mutation mais aussi d'une génération qui balance entre veulerie et aspirations romantiques.
La diversité des registres employés reflète au plus près l'incertitude propre à l'âge scruté.
Roxane Duru, dans ce roman, fait preuve d'un remarquable sens de la langue qu'elle travaille, comme une matière en fusion, au plus près du réel, mais aussi sur les plus escarpés sentiers poétiques.
Entre roman d'apprentissage et roman générationnel, Roxane Duru fait une entrée prometteuse en littérature.
BH 01/09
Retrouvez également l'interview de Roxane Duru par Bénédicte Heim sur le podcast des Contrebandiers éditeurs.