C’est un texte si
délicat
et dont l’écriture, ténue, aérienne, se pose si peu sur la page, qu’on
pourrait s’y tromper. Car la charge de violence que recèlent les mots
frappe comme obliquement et en sourdine mais l’impact n’en est pas
moins ravageur.
C’est,
sous des dehors usuels et à travers des manières usagères, une approche
singulière et subtile du déchirement amoureux. C’est autour d’un lieu,
l’île de Patmos, que tout s’articule et se cristallise. C’est un retour
qui se double d’une expérience inaugurale et favorise un dénuement,
suspendu depuis des années.
Marie,
veuve de Jean, revient à Patmos pour l’été, accompagnée de ses deux
enfants, Philippe et Louise, et de Grégoire, le grand fils de Jean né
d’une précédente union. Les jours passent, gouvernés par une douceur
trouble, baignés de lumière et de mélancolie.
Mais
une rencontre fortuite vient tout redistribuer. Augustin, mari bafoué
et père éperdu, est là, avec ses enfants. Augustin est le frère de
Pierre qui fut, par deux fois, l’amant de Marie et son amour fou,
toujours. Et Pierre est là aussi. La percussion est inévitable,
souhaitée et redoutée. A la faveur de ce choc, doucement, discrètement
sismique, c’est tout le passé amoureux de Marie qui est ravivé et qui
défile. L’éblouissement inaugural à l’époque où Marie était toute jeune
costumière et Pierre metteur en scène prometteur, ténébreux et
charismatique à souhait. Puis le temps des déchirements, des
partitions, des autres femmes en foule et, pour Marie, le choix de
Jean, homme opaque blessé mais fiable, pour une vie plus posée.
L’empreinte cuisante au coeur des années douces et la reparution de
Pierre qui tout emporta jusqu’à ce que la maladie, mortelle, frappe
Jean. Et le dernier acte qui se joue là, à Patmos, comme antiquement
généré par le décor insulaire.
C’est la
trajectoire d’une femme éprise, prise en tenaille entre deux hommes,
c’est affreusement banal mais raconté avec une telle hauteur, dans une
tonalité si surplombante et si étrangement et tendrement vénéneuse
qu’on est, comme malgré soi, emporté et envoûté.
BH 09/13