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Les livres d'Eva Steinitz par Livres-Addict.fr
"Le
livre de l'immaturité" d'Eva
Steinitz (Allia)
Drôle de fille, drôle de livre. Aux éditions Allia réputées pour leur exigence et leur goût de la littérature expérimentale.
Ce
sont les carnets d'une fille de vingt et un ans, des notes prises sur
le vif qui, assemblées, forment une sorte de parcours initiatique. La
fille vit à Lisbonne, elle y dessine, hante les expositions, les bars,
les soirées. Des rencontres la réchauffent, des voyages l'électrisent,
des amitiés la galvanisent, elle se frotte aux garçons, s'essaie aux
jeux de l'amour et du hasard ... Elle est neuve et elle dit comment la
vie la traverse et la transforme.
Rien de bien original a priori si ce n'est la langue qui court dans cet ouvrage. Car tout est restitué dans un langage sans équivalent, mélange étonnant - détonnant entre abstractions et expressions colorées, très imagées, métaphores inventives, des plus innovantes qui explorent et explosent les codes linguistiques. Le livre devient un laboratoire où fusent les trouvailles, certaines bancales, d'autres déconcertantes et d'autres éblouissantes. Et parfois on assiste à une cascade de fulgurances. Elle démonte les ressorts, les combinaisons du langage courant et les réagence autrement. Elle excelle dans l'art du pas-chassé, du pas de côté. Elle allie verdeur, voire naïveté, et raffinement et souvent le charme opère. L'effet de surprise est garanti. Ellipses et syncopes sont savoureuses.
On est encore loin de Chloé Delaume car manquent la maîtrise, l'érudition et l'étourdissante virtuosité, mais la parenté est certaine et si les maladresses abondent, les bonheurs d'écriture aussi. Et surtout, on ne s'ennuie jamais : l'esprit constamment dérouté, chassé des ornières éprouvées, des sentiers trop fréquentés, demeure tout du long alerté.
C'est un livre étrange et prenant, qui dépayse, non pas parce qu'on se trouve à Lisbonne mais parce que, tout en le devinant, on ne sait jamais exactement où et dans quoi on se trouve. Une tentative singulière, une audace à saluer et, comme on dit communément "un auteur à suivre".
Extraits proposés :
"Je nettoie l'espace sonore. Encombrement sensible. En respectant les vides, je couvre le château de mes projets. Débarassés des conquêtes et des enfuis, qui a survécu à cet enménagement ? Les murs caressent ma folie. Le building, comme un yacht, flotte sur mes eaux impures. Ma chambre est une planète. Je creuse les planchers. [...] A la vitesse de travelling, les décors et les structures vont émigrer. Une coupe que j'espère remplir au fur des furs, sans précipité ni préjugé."
"L'expédition vers une grande découverte me retient de visiter la pharmacie des anges. Stone en essence. La chimie héroïque à la place du bouffon s'emparerait de ma personne. Le mal éteint à la lumière inconsciente. Comme le filet d'un trempoline va se tendre sur son resserrement, cette fumée qui dérange des fois ma tête a agrandi et surpris mes acceptabilités en pente. Le plaisir est un manque spécial qui apprécie ses occasions. Rareté n'oublie pas d'être utilisée parfois. Afin de ne pas devenir déprimée, j'accepte de n'avoir rien pour griller."
"Qu'est-ce qui se lève ? L'anguleux côté du toit tranche la lune en son milieu. Un zest de clair dans le bleu. Les minis oiseaux font la danse du ventre à la lumière. Emplis de saudades par le vent, le soleil éclaire, l'épice qui dépend."
"Les édifices lisboètes ont des soucis avec l'humidité. Pour la plupart, ces façades qui pourrissent m'embellissent. Avant qu'elles ne dégringolent; les villes sont toujours un peu différentes entre elles. Verticalement, vue de terre, les astres se poursuivent. [...] Des câbles et des fils électriques se saluent et se pointent l'antenne. Négation du dérisoire. Des hordes loquaces passent et ventilent. Les cotons brûlent leurs bourgeons bronzés. Frissonnements tremblant l'ovale. Le ciel c'est la mer. Je fais la guerre aux idées noires."
"C'est ici que je me vois, me redécouvre mienne et mâturée." "N'attendant pas que l'histoire se répète, je m'exclus des réverbérations." "Il y a l'échelle vertébrale et le bruit séquencié. J'approche la barbarie." "Ma jeunesse m'excuse, elle est pacifiste et mon espoir cherche le bonheur communié dans le pain. Je suis cuite." "Sans exploitation datée, mon espoir pue." "Je suis bien dans mes airs. Mes fluides ont ralenti, je m'entends flotter dans mon souffle."
BH 06/07