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 Diana Evans par Livres-Addict.fr 

"26a" de Diana Evans

image_26aC'est un récit qui tire des larmes. Un texte qui s'avance d'abord à pas feutrés, l'air de rien,  tout en fantaisie et pas de côté puis qui s'enfle, s'étoffe, prend son envol pour finir en mode majeur et magistral.

C'est une voix trempée aux ors de la magie, rompue aux sortilèges de l'enfance, une voix qui, par touches légères, vous retourne l'âme et va fouiller loin dans les entrailles à vif. Une voix qui flirte avec l'hyperesthésie, qui va prélever dans le secret des blessures très intimes et des sensations qui se situent à la limite du dicible. Une voix pleine de cris qui chuchote et se déroule, mélodieuse et cristalline.

On se trouve dans la banlieue de Londres dans les années 80. On pénètre dans l'intimité d'une famille singulière parce que anglo-nigériane et parce que l'attention se concentre sur deux des quatre filles, Georgia et Bessi, qui sont jumelles. Peu à peu, on remonte aux origines, on apprend qu'Ida, la mère, s'est enfuie à 17 ans de son village d'origine pour se soustraire à un mariage forcé. Quant à Aubrey, le père, raide, solitaire, fluet, moqué par son entourage pour sa non-conformité, célibataire à 29 ans, il rencontre Ida à la faveur d'un déplacement professionnel au Nigéria. Ce sont deux solitudes, deux détresses qui se percutent et qui, dans un premier temps, se pansent mutuellement.

Mais l'illusion de proximité ne survit pas à l'installation du couple à Londres. Des divergences, des dissensions se font jour. La hargne et la rancoeur d'Ida s'accroissent à mesure qu'Aubrey se fait plus maussade et plus despotique. La venue des enfants ne scelle rien, elle accuse plutôt la déliaison.

Par goût, par besoin d'intimité et pour faire front à la tension ambiante, les jumelles élisent domicile au grenier dont elle font leur antre, le recel de leurs trésors mentaux, le théâtre d'un monde alternatif. Elles s'y retrouvent, y conversent avec des créatures imaginaires, y concoctent leurs manoeuvres maraudeuses, leurs percées salubres hors de l'étouffoir familial.

La famille connaît une parenthèse enchantée, trois années de répit et de rémission passées au Nigéria où le père a obtenu un poste. Là-bas, Aubrey se pacifie, Ida lisse ses aspérités et s'épanouit au contact de ses racines retrouvées. Les jumelles (qui ont alors entre 9 et 12 ans) n'éprouvent plus le besoin d'élire un antre compensatoire et cela d'autant moins qu'au Nigéria la magie est immanente, palpable, elle foisonne, il est loisible de la cueillir à pleines brassées.

image_26aEn contrepartie, elles apprennent d'alarmantes histoires colportées par le père d'Ida. Ce dernier leur explique qu'autrefois les jumelles étaient diabolisées, jugées maudites et maléfiques et qu'il arrivait fréquemment que l'aînée des deux soit sacrifiée au profit de l'autre et, dans un but propriatoire et cathartique, pour le bien de la communauté. Georgia étant l'aînée et la plus impressionnable, est comme électrocutée par cette fable.

Durant cette période de renouement avec la terre maternelle, la même Georgia subit un autre choc : un proche de la famille, une bête brute, la coince et abuse d'elle. Ivre de honte et de douleur rentrée, Georgia ne s'en ouvrira que des années plus tard et seulement à sa soeur aînée parce qu'elle la tarabuste. Sa jumelle ne saura jamais rien de cet événement.

Le retour en Angleterre marque la reprise des hostilités entre les parents. Ida se rembrunit et Aubrey présente désormais deux visages si distincts que, lorsqu'il est en proie à l'alcool et à la fureur, il est baptisé par ses filles "Mr Hide". C'est sous un ciel chargé que se déroule l'adolescence des jumelles et les rites conjuratoires redeviennent une denrée de toute première nécessité. Pendant longtemps, entre Georgia et Bessi, tout reste jumelé, y compris leur première et désastreuse expérience sexuelle vécue conjointement avec deux frères qui n'ont rien de princier ni de charmant.

Cependant, lorsqu'elles atteignent l'âge de 18 ans, tout change brutalement, des divergences essentielles se font jour. Subitement, Bessi se déclare assoiffée d'autonomie, de vie séparée. Presque sans crier gare, elle s'envole pour une île du bout du monde. De là-bas, elle écrit à sa soeur des lettres éblouies et même extasiées tandis que Georgia, qui goûte modérément la solitude, s'étiole.

Dès lors, l'écart entre les jumelles ne cesse de se creuser. Au retour de Bessie, les vies séparées se poursuivent, les différences s'accusent. Bessi prend son envol, elle met un terme à ses études, investit le monde de la musique, du rock'n roll, ambitionne de devenir chanteuse. Georgia, elle, entreprend d'austères études d'histoire, elle s'engage dans une relation au long cours avec un garçon doux, prévenant mais qui est, comme elle, à fleur de peau. Ils s'installent dans une maison à la campagne et, au bout d'un certain temps, Georgia, qui frôle l'asphyxie, enjoint à son jeune amant de partir.

A partir du moment où Bessi rompt le pacte qui présidait à la magie du 26a, Georgia développe des troubles qui vont en s'aggravant. Elle est frappée d'accès de panique si intenses qu'ils la condamnent à la réclusion, lui interdisant par moments de mettre un pied dehors. Elle se soumet à une série de rituels destinés à amadouer une réalité devenue par trop inhospitalière. Elle attribue une couleur aux jours, ne supporte plus d'absorber que des aliments "purs" qui ne pèsent rien et lui assurent un poids obligatoirement inférieur à 50 kg. Ce qui, chez les jumelles alliées, relevait, de la magie, se dégrade chez Georgia en superstition, en troubles  obsessionnels compulsifs. Son sytème immunitaire psychique se détraque, les poussées d'angoisse tournent en hallucinations. L'émotion déferle sans prévenir à travers des phrases gonflées d'enfance, pures de tout artifice, de toute dégénérescence adulte. Le style est comme Georgia, à fleur de peau, tout en court-circuits, en stupéfiantes trouvailles poétiques, en éclats de comète.

Une pure merveille qui longtemps poigne le coeur.

BH 03/09

Retrouvez également l'entretion de Bénédicte Heim et Antoine de Kerversau à propos de "26a" sur le podcast des Contrebandiers éditeurs.


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