Livres-Addict.fr
Richard Farina par Livres-Addict.fr
"L'avenir n'est plus ce qu'il était" de Richard Farina (Calmann-Lévy)
Dès
le départ, il y a des signes qui ne trompent pas. On est bien en
littérature, dans la vraie, la pure. Car on subit d'emblée une
translation, on est déporté hors du cadre, les repères lénifiants sont
retirés comme une échelle sous les pieds du grimpeur.
On ne sait pas bien où on se trouve, on identifie peu à peu les attributs d'un milieu étudiant. Ca grouille, on se canarde de mots d'esprit plus ou moins scabreux, on se frotte, se frictionne par joutes verbales interposées.
Gnossos, héros ulysséen à la mode estudiantine, réintègre Athené, son port d'attache, son campus et camp de base après une longue absence. Il retrouve ses anciens acolytes, va de soirées arrosées en bouges infâmes, en improbables antres d'artistes déjantés ou d'illuminés en quête nirvanesque. La défonce et le sexe sont bien sûr au rendez-vous mais de manière étrange, pour ainsi dire oblique.
On est jeté sans ménagements dans le chaudron du diable, ça bouillonne, ça éructe, les scènes se succèdent, foisonnantes, effervescentes, tout va très vite, les personnages surgissent ex abrupto, s'illustrent dans des conduites extravagantes ou des déclarations mémorables, ils pirouettent, disparaissent, reparaissent, le rythme, frénétique, est à donner le tournis, le marionnettiste nous balade, nous manipule avec une féroce jubilation. La jubilation d'être porte d'ailleurs ce roman qui bout de sang cru de la jeunesse. La majorité des cènes consistent en des dialogues énervés et même survoltés qui irrigue un sens aigu de la dérision, une ironie jamais au repos. Gnossos erre, cherche sa voie, touche aux drogues, est tenté par la voie mystique, il aime, souffre, tombe malade, rejoint la révolution cubaine, assiste à la mort d'un ami ... mais les tonalités loufoques et cocasses dominent. Cependant, ce qui frappe plus encore que la drôlerie, c'est l'étrangeté : plus que décalé, ce roman est pour ainsi dire décalqué, on est dans un univers mental singulier, on touche vraiment à l'altérité et c'est ce qui requiert. L'auteur, Richard Farina, est mort à 29 ans, deux jours après la parution de cet unique roman.
BH 10/07