Livres-Addict.fr

 AccueilLivres | Films | Expositions | Sites internet

Claire Fercak par Livres-Addict.fr 

 Fercak

"Rideau de verre" de Claire Fercak (Verticales)

rideaudeverreCe livre est d'abord une langue. Eclatée, syncopée, comme sarclée et scarifiée par la douleur qui cherche un idiome adéquat pour se dire.

C'est un récit d'apparence autobiographique revisité par une émule de Chloé Delaume : la parenté saute aux yeux dans l'usage de la langue comme dans la thématique. La figure du père tortionnaire et détraqué est centrale. C'est lui qui fabrique une enfant terrifiée puis une adolescente divorcée de son corps, exclue de sa propre vie, abonnée aux psychotropes et aux séjours en clinique, section psychiatrie.

Ce pourrait être qu'un témoignage à fleur de peau, une poignante confession de plus. Mais Claire Fercak affiche une toute autre ambition : la narratrice a été privée de vie, elle décrète que la langue sera son berceau, son identité. Elle investit le langage, le travaille, le triture, le désaxe et le désarticule, l'étreint, épuise ses ressorts trop connus, ne les lâche pas avant qu'il ne livre, au terme d'une épuisante corrida, la formule adéquate et neuve. Si elle pouvait se résoudre en équations, pourvu qu'elles expectorent son mal, elle le ferait.

En ce sens, il s'agit d'une véritable entreprise poétique. Avec des procédés étonnants, la jeune femme démonte les mécanismes pervers qui régissent sa vie dynamitée. Elle montre comment la destruction opérée par autrui (le père) est intériorisée et se mue en autodestruction. La violence éclate dans un verbe atomique, atomisé et dans le même temps elle est tenue en respect. Des litanies incisives mais jamais complaisantes se succèdent, décrochées de tout ordre chronologique convenu ( la narratrice a tour à tour 7 ans, 32 ans, 25 ans etc... et un rythme tonique, une sacansion singulière naissent de ce désordre contrôlé), la douleur éclate en tous points du temps et l'on frémit devant les listes de médicaments ingérés qui représentent une impressionnante et inquiétante pharmacopée.

Au fil des évocations horrifiques, des sévices subis, des effrois et des détresses endurés, l'émotion monte graduellement cependant elle est simultanément bridée, tenue à distance par une petite voix mutine, un humour corrosif qui, là encore, ne sont pas sans rappeler Chloé Delaume. A la fin, on assiste à une timide éclosion en même temps qu'à une tentative boiteuse pour réhabiliter le père et l'absoudre..

Claire Fercak se réclame ouvertement de Sylvia Plath, Virginia Woolf et Sarah Kane, trois artistes majeures, trois vies fracturées. Sylvia Plath surtout avec sa "Cloche de verre" est une figure prégnante et récurrente et, dans le présent récit, c'est la métaphore du rideau de verre qui est filée.

Ces figures tutélaires illustres que se choisit notre jeune auteur n'auraient pas à rougir de cette élection. La filiation est certaine. L'inventivité verbale est constante de même qu'est constant le plaisir de lecture.

Claire Fercak a relevé le défi : elle a inventé une langue qui parle sa peine. C'était risqué, c'est réussi. Une remarquable entrée en littérature.

BH 09/07

   © Livres-Addict.fr - Tous droits réservés                                                                                                          | Accueil | Contact |