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Jon Fosse par Livres-Addict.fr 

 "La remise à bateaux" de Jon Fosse (Circé)

remiseC'est un petit livre, une intrigue bien mince, réduite à presque rien : le narrateur, trente ans passés, solitaire, célibataire sans emploi, vivant chez sa mère, retrouve Knut, son ami d'enfance, son allié des années d'adolescence, perdu de vue depuis dix ans et de retour dans sa ville d'origine, subitement réapparu sous la forme d'un homme accompli, marié, père de deux fillettes, professeur de musique. Or c'est la musique qui avait réuni les deux garçons autrefois, ils avaient fondé un groupe mais si Knut a converti sa passion en activité rétribuée et socialement reconnue, le narrateur, lui continue de jouer en amateur et d'animer des soirées de bal populaire.

Dès les premières rencontres, la femme de Knut se montre entreprenante auprès du narrateur, elle l'agace, le séduit, l'asticote, le tarabuste, le provoque, l'affole. Le triangle dramaturgique est en place, la charge explosive est amorcée, il n'y a plus qu'à laisser les choses suivre leur cours.

Mais l'auteur se démarque des récits classiques dans le traitement qu'il fait subir à ces éléments convenus. Tout est dans la manière. La manière dont il agence, triture, revisite cette matière déjà tant pétrie.

Il fait l'économie de toute analyse. Il livre une pensée brute, celle du narrateur qui, sous le choc du retour de Knut, s'est mis à écrire pour juguler l'intranquillité qui s'est emparée de lui. Cet homme simple (presque un idiot) s'exprime en phrases lapidaires, presque indigentes et surtout répétitives. L'auteur joue sur ce procédé de répétition, les phrases reviennent par cycles et créent des motifs récurrents qui se choquent, se tricotent à la trame narrative. Les phrases claquent, brèves comme un cri d'alarme, revenantes comme une tapisserie de Pénélope sans cesse reprise, elles forment un tissage serré comme l'angoisse qui monte. L'inquiétante impavidité des fjords norvégiens environnants participe du climat anxiogène, du malaise qui s'installe. Les battements de la mer aussi inquiètent qui pulsent comme les phrases. La prose scande les obsessions du narrateur. La pauvreté du style crée paradoxalement un sentiment d'amplitude voire de vertige, elle creuse une profondeur. Comme si, à force de frapper toujours aux mêmes endroits, le narrateur ouvrait failles et béances insoupçonnées. Sa vie végétative est mise à mal par la résurgence de Knut et par les assauts intempestifs de sa femme. Il entrecroise les fils du passé et du présent, le bouleversement qui l'affecte lors de la réapparition et celui qui le brisa, des années auparavant, aux heures adolescentes, et qui fonde le drame désormais en marche.

Et le narrateur, cet homme mutique, presque aphasique, pauvrement doté, qui se présente lui-même comme un raté (sentiment accru par la confrontation-comparaison avec Knut) et mène sa vie pour ainsi dire en paralytique nous offre un récit contenu d'une force rare. Ou comment le dénuement se mue en richesse.

BH 09/07

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