Livres-Addict.fr
Philippe Fusaro par
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"Aimer fatigue" de Philippe Fusaro
(l'Olivier)
C'est un récit plein de
creux
et de déliés. Une
voltige et
une déambulation gracieuses autant que nébuleuses.
C'est une variation subtile et sensible autour de motifs éculés, de figures fatiguées. Ce sont des personnages et des lieux attendus mais que l'auteur décale imperceptiblement pour les arracher à leur emploi convenu. Et, tout du long, ces figures familières sont travaillées de l'intérieur par une étrangeté qui les doue d'un mystère et d'un pouvoir de fascination absolument vierges.
Il y a Lulù, actrice issu du moule italien le plus classique, le plus caractéristique mais qui s'évertue à gommer ses traits distinctifs pour accéder à une aura et à une gloire hollywoodiennes. Il y a La Spia, petite frappe, espion de seconde main et de troisième zone, maquillé en inoffensif agent immobilier. Il y a enfin Memphis, écrivain bouffi d'alcool, artiste en perdition, dévasté par la mort de "l'être aimé", destitué de ses pouvoirs créateurs.
Ces trois personnages se croisent, s'apparient, exécutent un étrange ballet amoureux sur une scène gorgée de chaleur, fusillée de lumière crue : dans l'hôtel Minzah de Tanger.
Lulù entame, classiquement, une liaison torride
avec La Spia.
Quant à Memphis, il développe pour La Spia un attachement d'autant plus
insolite qu'il sera partagé. Ces archétypes court-circuitent leur
réduction à
des stéréotypes grâce à l'atmosphère, tout ensemble limpide et
vaporeuse qui
s'instaure et distille, au fil des pages, quelque chose comme un fluide
hypnotique. On sort aussi des clichés grâce aux relations, singulières
et d'une
grande délicatesse, qui se tissent entre les personnages. Ces trois
paumés, ces
antihéros en perte de vitesse ou carrément en bout de course, évoluent
au sein
d'un triangle amoureux des plus surprenants. En effet, si la
sensualité,
souvent jubilatoire, ou au moins enjouée, éclabousse chaque page, si le
désir
circule bel et bien entre les membres du trio, c'est, à la fin Philia,
voire
Agapè, qui triomphe d'Eros. L'amour compassionnel rédempte nos
personnages
claudicants et les élève au rang de héros auréolés. Un roman
atmosphérique, un
récit tout en finesse qui diffuse longtemps son doux parfum d'étrangeté.
BH 01/14