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 Hélène Gaudy par Livres-Addict.fr 

"Si rien ne bouge" d'Hélène Gaudy (éd. du Rouergue)

image_gaudyHélène Gaudy est une marionnettiste, une manipulatrice de premier ordre. Elle se plait à détraquer insensiblement les atmosphères et elle excelle à ce petit jeu : elle opère l'air de rien, par petites touches, par petites phrases toutes de suggestion et d'ellipses, phrases d'apparence anodine mais de portée assassine, forces de frappe, recels de charges atomiques.

Voici un trio familial bien policé, bien sanglé dans ses certitudes bourgeoises bien-pensantes. Il y a Samuel, le père, Lise la mère et Nina, l'unique fille adolescente âgée de 14 ans. Les parents se sont mis en tête, pour redorer leur blason moral, de pratiquer une sorte de parrainage de proximité : ils s'occupent depuis quelques mois de Sabine, adolescente elle aussi et "issue d'un quartier défavorisé". Jusqu'à présent, les bonnes oeuvres ou le geste humanitaire se résumait à quelques après-midi, excursions pédagogiques visant à extraire Sabine de son milieu délétère. Mais voilà que ça se corse : dans un grand élan donateur, le couple prental a décidé de se charger de la petite déshéritée durant le temps des grandes vacances. Ils l'embarquent sur le lieu de villégiature arguant que (en plus de soulager leur conscience et rehausser leur image intime), Sabine fera une compagne idéale pour Nina, rompant de fait sa trop grande solitude.

Sabine est cependant traitée par Lise et Samuel comme un animal d'une race indéterminée, potentiellement dangereux et qu'il faut manipuler avec les plus extrêmes précautions.

La collusion avec Nina semble se faire d'emblée, sans heurt apparent. Pourtant la disparité, l'hétérogénéité est perceptible, pointée en amont déjà à travers le choix des prénoms : Nina a quelque chose de raffiné, d'un bibelot précieux, Sabine est assené sans recherche et trahit le manque d'imagination, l'extraction modeste.

image_gaudyC'est Nina pourtant qui, bien qu'enveloppée de la large cape ou chape parentale protectrice, apparaît la plus vulnérable. Gauche dans ses mouvements et bien que massive, Nina a quelque chose de ténu, d'impalpable. Elle n'habite pas son corps mutant ni sa parole qui s'articule hoquetante, fastidieuse et comme en marge d'elle-même.

Peu à peu, la proximité forcée de Sabine va changer la donne, modifier son rapport au monde, à ses parents, à elle-même, à tout ce qui réagissait et régulait son univers sécurisé et barbelé.

Conformément aux poncifs qu'elle est censée incarner, Sabine est rude, brute, frontale, butée, un brin vulgaire. Peut-être aussi cynique et perfide. Mais on ne peut la réduire à ce cliché ambulant. Elle a aussi d'étranges accès de délicatesse, de courtoisie, de silence, elle semble se fondre sans friction dans la routine familiale.

Les glissements, les variations et chutes atmosphériques se produisent d'abord de façon imperceptible. Puis les chocs interviennent moins graduellement, les percussions frappent de manière moins espacée.

Sabine initie Nina aux traditionnels jeux adolescents : prise de possession de son propre corps, séduction etc... mais chaque fois il se glisse dans cet apprentissage un élèment cruel propice au basculement, quelque chose d'indiscernable, empreint d'un parfum vénéneux...

Dans le même temps, Lise et Samuel (surtout Samuel, opiniâtredans sa suspicion) s'avisent qu'ils ne savent rien de Sabine, qu'elle leur échappe intégralement et que tout leur bel édifice idéaliste repose peut-être sur un leurre...

La dernière partie est la plus surprenante qui se déploie presque en lisière du fantastique et où l'on apprend que le péril ne réside peut-être pas dans le périmètre où l'on croyait pouvoir le circonscrire.

Entre prédateurs et proie la roue tourne, la tendance s'inverse, la frontière devient étrangement floue. L'intrigue tourne à la fable et pointe les dangers de la tentation sécuritaire.

Sismographe des détraquements infimes qui procède par éraflures, par coups de pointe incisive, voici le récit d'une altération générale, d'une contagion dont l'ampleur et l'impact dépassent ceux qui la générent. C'est aussi le récit de l'inquiétante étrangeté, de l'altérité inassimilable.

Un roman étonnamment maîtrisé qui distille un constant malaise et une persistante force d'envoûtement.

BH 11/09

Retrouvez également l'interview d' Hélène Gaudy par Bénédicte Heim sur le podcast des Contrebandiers éditeurs.

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