Albane Gellé procède par soustraction. Elle épluche et ne garde, de la vie et du verbe, que le plus nu, le plus prégnant, le plus urgent. Quelque chose comme une ligne drue ou un parfum d’enfance.
C’est le ballet, non de deux prénoms, mais de deux pronoms. C’est l’histoire, à la fois universelle, générique, et absolument singulière, de « il » et « elle ». Avec des mots simples et une sensibilité à vif, Albane Gellé décrit ce mouvement si particulier par lequel deux entités irréductibles se cognent, se percutent et peu à peu s’apprivoisent. Comment s’assouplit la dureté granitique, la résistance calcaire, hérissée d’ « il » et « elle » qui, irrésistiblement convergent pour, à la fin, former cet improbable « nous ».
Il et elle s’approchent, tressaillent et doutent. Mais c’est sa voix à elle, surtout, qu’on entend, c’est elle, au travers des mots tracés, qu’on voit tour à tour s’étirer vers lui, trébucher, se redresser et s’ouvrir et s’élargir et se creuser, s’altérer pour mieux accueillir son il.
Son il dont elle rend compte à travers des précipités poétiques, des traits fulguraux de comète :
« 
            il
            d’un seul geste, enlève ses troubles
            et sa jupe, prévient qu’il s’arrêtera
            là, qu’il pourrait bien s’en aller dans
            un monastère, alors les histoires de
            silence, pas à lui, d’accord ? »
            
ou
            
« il
            c’est l’enfant dans l’homme qui
            prend toute la place, elle longtemps
            en pleure »
            « il écrit en cachette de la grande
            personne qu’il est devenu »
            « il
            se croit obligé de toujours sauver
            le monde, menace sa fatigue si
            elle l’empêche d’être un héros »
            
ou encore :
            
« elle
            en se retournant a vu, sans personne
            autour, des pas dans le sable qui
            rejoignaient les siens, s’en souvien-
            dra toujours »
            
Mais Albane Gellé a aussi à cœur de pointer et d’isoler des ténuités, d’apparentes trivialités qui, par son regard dénudées, tremblent sur la page, se virginisent et prennent des allures d’épure :
« elle
            n’a plus du tout honte d’arriver
            à la plage un ballon sous le bras
            ni d’écouter Renaud ni d’écrire un
            poème pour un anniversaire, et toc. »
            
Albane Gellé fuse
            sans forfanterie, elle vibrionne sans vaine virtuosité. Une douce
            trajectoire heurtée, une écriture nouée vif au fil de laquelle
            poudroient les étincelles.
            
BH 11/12
Albane Gellé s’établit et se resserre tout entière autour d’un infinitif dont elle cherche à épouser, sinon à épuiser, les lignes de force et les ressources multiples. Et qui se multiplient chemin faisant.
L’infinitif, c’est « tenir », c’est la pièce maitresse, l’épine dorsale qui architecture le texte tout entier. Ce verbe est programmatique, il condense et cristallise tout ce qui, simultanément, éclate et se ramifie sur la page. Et Albane Gellé propose des déclinaisons à la fois subtiles, percutantes et inattendues. Elle allie, dans son approche, puissance et délicatesse.
Il s’agit essentiellement de soutenir une lutte, un effort, d’opposer une résistance ou de former un ordre, d’assurer un équilibre entre des forces contraires. Mais il s’agit aussi de favoriser d’improbables et fragiles éclosions, de rendre viables voire durables des étincelles volatiles volontiers compromises ou sanctionnées. Ainsi :
« Tenir
            à plat milieu des
             mains trois souvenirs fra-
            giles épais cherchant à voir
            par-dessus bord maladroite-
            ment posés debout » 
          
ou
« Tenir de
            source sûre et cer-
            taine que mille choses invi-
            sibles se tiennent autour en cohérence cheveux tirés au
            beau hasard pour tracer
            route passé présent jusqu’à
            tous les demain debout ».
Et il y a aussi de pures effractions poétiques :
« Tenir ta main
            plus que mi-
            nutes dans les draps blancs
            entre les murs blancs toi et tes
            noirs (peintures et chiens) je
            te fais rire couleurs debout ».
Tout, à l'image de la typographie, du rythme à la fois fluide et saccadé qui est imprimé tout du long, tout est surprenant, prenant, tout serre le cœur, empoigne le corps, fait crépiter l'esprit.
Une invite
            euphorisante à l’insurrection continue. Une merveille qui ne doit
            pas rester ignorée.
            
            BH 11/12