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 Goldie Goldbloom par Livres-Addict.fr

"Gin et les italiens" de Goldie Goldbloom (Christian Bourgois)

image_gin_goldbloomC'est un livre de cabrioles, de voltes, de saltos et de salves furieusement inventives. Un texte aux allures de cavalcade et de valse légère. Avec des phrases frondeuses qui claquent et rendent un son absolument inédit.

C'est une histoire éternelle contée dans une langue singulière et, surtout, sur un mode radicalement neuf.

On se trouve en Australie, en 1944. Celle qui parle, c'est Gin, une femme qui est tout entière une étrangeté et dont la voix alerte et saisit en ce qu'elle se fait le relais d'un regard qui est d'une rare acuité et d'une singularité totale.

Depuis des années, Gin croupit dans une ferme du bush australien en compagnie de son époux (qu'elle ne nomme pas autrement que Mr. Toad) qui n'est pas moins surprenant qu'elle et auquel elle s'est unie par défaut.

Gin est albinos, une pure, une radicale albinos et en elle aucune concession à la normalité physique ne vient tempérer cette particularité qui conditionnera tragiquement sa vie. Elle est, en effet, musicalement surdouée et était taillée pour devenir pianiste, concertiste brillantissime sauf que, à l'instant où elle aurait dû être distinguée et propulsée, les membres du jury et fabricants de destins lui ont préféré, au mépris de ses dons éclatants, une candidate dont l'apparence jurait moins. Car elle est celle dont le physique blesse l'harmonie exigible de qui prétend évoluer en millieu mélodique.

Or, Gin n'étant pas seulement physiquement extrémiste, elle est percée jusqu'au tréfonds par cette éviction et elle s'alite pour ne plus se relever. En suite de quoi, son père l'expédie sans état d'âme en hôpital psychiatrique. Et c'est au coeur de cette fournaise mentale où se grillent ses synapses (et où elle se livre à une forme particulière d'automutilation) que la débusque Toad. Lui est, comme elle, un disgracié, un relégué, un être à part. Il est ridiculement petit et doté d'un esprit oblique et torve. Il sera cependant pour Gin l'instrument d'un salut temporaire puisque, lui offrant de l'épouser, il lui permet de fuir l'asile où elle aurait autrement moisi probablement jusqu'à la fin de ses jours.

On pouvait espérer que ces deux-là trouveraient dans leurs singularités alliées une rédemption. Mais il n'en est rien : leurs manques s'additionnent, se potentialisent, se font même exponentiels par moments et ils creusent entre eux une incompréhension qui devient abyssale.

Qu'ils aient conçu ensemble deux enfants attachants, ne les rapproche pas pour autant. Clouée par sa différence, Gin s'était plus ou moins résignée à cette assignation jusqu'au jour où débarquent dans la ferme deux prisonniers de guerre italiens, Antonio et John, reconvertis pour l'occasion, et à l'usage de Toad, en ouvriers agricoles.

Gin qui, outre les avanies indélébiles subies dans sa jeunesse, porte le deuil d'une enfant, Joan, précocement fauchée, et se trouve accablée d'une nouvelle grossesse indésirée, voit subitement en Antonio un horizon possible.

Bien que dûment marié en Italie, Antonio se montre envers Gin doux, attentionné, prévenant, tendre, élogieux (il va jusqu'à la trouver belle et à le lui déclarer) mais aussi virilement présent quand Toad le nain est à peu près uniment abrupt, hargneux, chicaneur, tracassier, méprisant, démissionnaire et défaillant. Auprès d'Antonio qui l'entoure d'une inlassable et patiente affection, Gin se reprend à espérer, elle renoue avec des pans d'elle-même verrouillés, tombés en déshérence, sa vie sacrifiée se réensemence et s'irrigue. Pendant un certain temps elle lutte contre l'infatigable afflux de tendresse et puis elle s'abandonne, elle est toute ouverte, armure fendue et défenses fissurées. Et le désir cogne contre toutes les parois et fait effraction et chaque geste, chaque inflexion de voix (sans parler des regards) le trahit. Et, bien entendu, Toad voit cette éclosion d'un très mauvais oeil. Toad qui, lui, se rapproche dangeureusement du jeune et ravissant John. Et les autorités locales voient l'ensemble d'un très mauvais oeil.

Tout cela pourrait tourner au vaudeville le plus affligeant ou au pur pathos ou encore au mélodrame mâtiné de grotesque. Mais c'est compter sans la langue qui porte le récit, sans le regard, proprement stupéfiant, que Gin porte sur les choses. La langue est abrasive, pleine d'allant, d'irrévérence et de trouvailles aussi inouïes que réjouissantes. Et le regard que l'auteur prête à Gin est pareillement coupant, il attaque le réel sous un angle qui n'est jamais attendu, il est frondeur, intrépide, sans précédent mais aussi, et c'est là le tour de force, plein d'émotion contenue et d'une sensibilité sur la crête. Et le désir affleure chaque page. Les passages qui restituent la longue approche désirante entre Gin et Antonio sont d'une bouleversante beauté.

Un récit qui poigne et qui hante.

BH 05/11              

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