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Kirsty Gunn par Livres-Addict.fr

"La grande musique" de Kirsty Gunn (Christian Bourgois)

C'est un texte d'une singularité telle qu'on peine à le qualifier. Un texte qui procède de la musique et qui tend, par les mots, à traduire l'essence même de la musique.

C'est aussi, et simultanément, un récit fiévreux, sauvage, qui se déroule dans un lieu non moins sauvage. Dans les confins désolés et tempétueux d'une Écosse inhospitalière et propre à enflammer l'imagination. Et l'histoire qui est distillée diachroniquement, anachroniquement, par bonds, voltes et court-circuits, est d'un romantisme effréné. C'est un peu "Les Hauts de Hurlevents" scandés selon le tempo de la cornemuse. Car ce texte n'est pas seulement musical, il est, tout entier, la musique. Et il se décline durement et souplement et il épouse les rythmes et pulsations du chant écossais.

On se trouve, en effet, dans le nord des Highlands écossais, dans l'aride isolement (pourtant profus en sensations) de ce paysage rude, accidenté, sombrement désolé. Une corrélation envoûtante se dessine qui est l'adéquation parfaite entre la nature décrite, la musique figurée (le Piobaireachd, la grande musique écossaise, traditionnelle jouée à la cornemuse) et l'histoire farouche et obscure dont il est question. Et la langue elle-même se cale et se calque sur l'ensemble en une succession de salves et de saccades hantées. On entend des voix, qui tour à tour, s'élèvent et restituent, dans le désordre, des bribes d'un roman familial lequel court sur trois générations.

C'est une manière de tragédie antique avec unité de lieu (les Highlands, donc, et une grande maison isolée, battue par les vents, perchée sur ces mêmes Highlands et théâtre du roman familial) et unité de temps (tout se déroule en une seule journée, accrue, gonflée par les remémorations des personnages qui entrent en scène).

Nous sommes d'abord en présence d'un vieil homme, John Sutherland, musicien, figure et symbole de la "grande musique" qui, hôte de la "grande maison", soustrait sa petite-fille Katherine et l'enlève pour aller se perdre dans les Highlands. Cet événement inaugural suscite les voix et réactions de ses proches qui commentent le drame et peu à peu, retissent la trame narrative, l’enchaînement explicatif et le circuit officieux des causes et des effets.

C'est ainsi qu'apparaît Margaret, grand-mère, elle aussi de Katherine mains pas épouse de John car ils furent, elle et lui, amants secrets frappés d'interdit. Margaret est, depuis des éternités, la femme de Iain, brave type qui a pris Margaret telle quelle, entière, et a élevé, sans broncher, Helen, sa fille, comme s'il s'agissait de la sienne propre. Or Helen est, bien entendu, la fille de John. Lequel a épousé, à Londres (et comme, dirait-on, pour se châtier), une impeccable Sarah qui lui a donné un fils, Callum. Ledit Collum accompagnait, enfant, puis adolescent, son père lorsqu'il venait passer des vacances, des semaines entières, dans la "grande maison". Au cours de ces séjours, un lien dangereux, sulfureux, s'est noué entre Helen et Collum (lui-même désormais marié et rangé comme son père). Les amours interdites irriguent donc d'un feu soutenu ce récit incandescent.

Et ce texte cisaillé, haletant, criblé de sombres accents incantatoires, déroule, en une envoûtante mélopée, toute cette riche matière romanesque.

C'est une psalmodie hantée.

Un hymne bouleversant à l'art et l'amour mêlés.

Un coup de maître qui coupe le souffle.

BH 06/14
              

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