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 Etty Hillesum par Livres-Addict.fr 

"Les écrits d'Etty Hillesum" (Seuil)

image_hillesumCeci n'est pas un livre, c'est une bombe, une déflagration continue. Et ce n'est pas un journal intime, c'est un manifeste, un traité révolutionnaire. C'est un foudroiement sans pareil, une claque magistrale.

Voici une jeune femme néerlandaise de 27 ans qui évolue dans le tumulte de la seconde guerre mondiale. Elle se nomme Etty Hillesum, elle est juive mais surtout dotée d'un prodigieux appétit de vivre et d'une appétence spirituelle pareillement dévorante, proportionelle aux désirs charnels qui la tenaillent.

Ce qui déclenche l'acte d'écriture et l'institue comme une nécessité, c'est une rencontre. Début mars 1941, elle se met à rédiger son journal parce qu'elle est en état de commotion : elle vient d'entrer en contact avec Julius Spier, quinquagénaire et étrange thérapeute qui traite ses patients par la chirologie ainsi que par de singulières empoignades, des corps à corps qui se teintent volontiers de sensualité. Julius Spier sera pour Etty un monde, un défi, une révélation, une passion, un catalyseur. C'est grâce à lui, le grand initiateur, qu'on assiste à ce phénomène prodigieux : l'accession d'une âme à elle-même et à bien plus grand et plus vaste qu'elle. Etty qui, au début, se définit comme "la fille qui ne savait pas s'agenouiller", progresse au fil du temps dans le sens secrètement visé, celui de la gratitude de la prosternation émerveillée devant les ressources de la vie. Etty Hillesum est une jeune femme qui regorge de dons, d'une énergie bouillonnante et de désirs exacerbés qu'elle peine à canaliser. La fréquentation de Julius Spier et l'étroite relation qu'elle tisse avec lui, lui permettront d'orienter ses forces à bon escient, d'exploiter au mieux l'exceptionnel gisement qu'elle recèle.

Peu à peu, elle s'élague, se décante, s'épure et se rassemble. Elle prend conscience d'elle-même et de sa vocation car elle se sent, se sait investie d'une mission de toute première importance.

Car ce que retrace ce journal - et cela avec une extraordinaire minutie - c'est une métamorphose des plus profondes. C'est le journal d'une conversion mais pas au sens classique du terme - et bien que le rapport à Dieu tienne une place non négligeable. On assiste à ceci : le passage de l'amour du singulier (qui est ici une passion obessionnelle) à l'amour universel, l'amour de l'humanité dans son entièreté. Et aussi le passage d'une certaine diffculté à vivre à une adhésion inconditionnelle à la vie sous toutes ses formes, y compris les plus intolérables et monstrueuses.

Les écrits d'Etty Hillesum sont la meilleure preuve (toujours vivace et fulgurale) que travailler à sculpter son âme, y travailler dans le sens de l'ajour et de l'épure n'est en rien un acte égoïste, c'est au contraire une générosité folle et un bienfait pour l'humanité tout entière.

image_hillesumTout procède donc de la relation d'Etty avec Julius Spier. Cette relation complexe, tumultueuse, passionnée et intensément créative est le creuset et le vivier de l'extraordinaire. Julius Spier est doté d'une fiancée qui vit à Londres cependant qu'Etty entretient avec Han (un sexagénaire qui l'héberge) une liaison vieille de cinq ans déjà. Spier impose à Etty sa ligne qui est de fidélité envers sa fiancée (ligne qui souffre, cela dit, et tolère de multiples brisures et décrochages) et, dès lors, ce qu'Etty restitue aussi dans ces pages, c'est sa longue et patiente lutte contre les assauts de la jalousie et le désir de possession. Elle traverse des dédales, des défilés obscurs, se livre à des luttes sanglantes et toujours surgit, purifiée et lumineuse. Victorieuse. Car Etty est avant tout une combattante, une croisée, elle guerroie sans relâche contre tout ce qui l'empêche de faire le jour en elle, de mettre au jour le divin qu'elle recèle. Et elle à fort à faire car elle est d'un tempérament si bouillant, si impétueux, il y a en elle tant de fièvres, d'emportements et d'embardées à juguler! Et le journal nous est précieux aussi en cela qu'il est un sismographe extrêmement précis : il enregistre la moindre des oscillations auxquelles est soumise cette jeune femme dont les états d'âme fluctuent avec une amplitude impressionnante entre exubérance, plénitude euphorique et désespoir noirissime. Et peu à peu, à mesure qu'elle dégage son épine dorsale et l'ossature de sa vie, Etty se familiarise aussi avec son centre inaltérable, cette force qu'elle possède et qui demeure, quoiqu'il arrive, intangible, inaccessible aux assauts et tribulations externes.

Etty évolue, au cours de ces années-là, au sein d'un cercle dont Julius Spier est le principe, le point nodal et dont elle devient le satellite de premier plan. D'abord parce qu'elle est engagée en tant que secrétaire de Spier et puis, parce que, en raison de ses dons et de sa fougue naturelle, elle est très vite élevée au rang d'assistante du maître. Elle se fait donc thérapeute de l'âme et prodigue des soins salubres à ceux qui se confient à elle. Elle se trouve aussi au coeur d'une exceptionnelle effervescence intellectuelle et créatrice car les proches et patients de Spier sont tous des êtres de haute qualité.

Et dernier point, et non des moindres, Etty fait preuve d'un humour rare et d'une autodérision qui aère et allège l'extrème densité de ces pages : elle se morigène et s'admoneste sans cesse avec une brutalité et un solide bon sens qui sont d'une grande saveur.

Ainsi, quand le pire survient, elle est tout sauf démunie. Elle, Etty, qui croyait, au fil de son journal, faire ses gammes d'écrivain, s'entraînait en réalité à devenir l'un des plus beaux spécimen humains que la terre ait porté. La jeune femme égocentrique, hypocondriaque, confuse, désordonnée, perpétuellement débordée et volontiers plaintive au début du journal est devenue, à la fin (un peu plus d'un an plus tard), cette lutteuse évangélique capable d'écrire : "Il faut contribuer à agrandir les réserves d'amour sur cette terre".

Et : 

"Aux dernières nouvelles, tous les juifs de Hollande vont être déportés en Pologne, en transitant par la Drenthe. La radio anglaise a révélé que, depuis avril de l'année dernière, 700.000 juifs ont été tués en Allemagne et dans les territoires occupés. Et si nous survivons, ce sera autant de blessures que nous devrons porter en nous pour le restant de nos jours.

Et pourtant je ne trouve pas la vie absurde. Dieu, je n'y peux rien. Et Dieu n'a pas à nous rendre de comptes pour les folies que nous commettons, c'est à nous de rendre des comptes! J'ai déjà subi mille morts dans mille camps de concentration, je sais tout, aucune information nouvelle ne m'angoisse plus. D'une façon ou d'une autre, je sais déjà tout. Et pourtant je trouve cette vie belle et riche de sens."

Et encore : 

"La plupart des gens ont en tête une vision conventionnelle de la vie, or il faut s'affranchir intérieurement de tout, de toutes les représentations figées, de tous les slogans, de tous les assujettissements, il faut avoir le courage de se détacher de tout, de toute norme, de tout repère conventionnel, il faut faire le grand bond dans le cosmos, et alors, la vie devient infiniment riche, elle déborde de dons, même au plus profond de la souffrance".

BH 05/11               

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