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 Agustina Izquierdo par Livres-Addict.fr 

"Un souvenir indécent" d'Agustina Izquierdo

C'est un texte de cruauté et de foudre fissile. Un texte qui n'épargne personne, ni les protagonistes  ni le lecteur. Tout est coupant, sans douceur ni consolation possibles.

Il s'agit d'amour mais d'un amour noir et qui persécute. Une histoire d'envoûtement, de possession, de presque vampirisme. Nous sommes à Barcelone dans les années 30 et dans un climat insurrectionnel. Et c'est, sur fond de grondement révolutionnaire, le portrait fragmentaire d'une femme qui demeure opaque, impénétrable dans toutes les acceptions du terme. Au fil du récit, elle se raconte et elle est racontée par deux hommes qui furent ses amants. Deux amours d'une nature très différente. Elle se nomme Elena Berrocal, elle est sombre, massive, magnétique et elle fut l'amante de nombreux hommes, notamment d'un terroriste brutal qui ne l'impressionnait guère, du narrateur et d'un dénommé Didac Cabanillas auprès de qui elle fut une terroriste de l'amour. Didac Cabanillas est le coeur du récit, sa part sensible et sacrifié. Il apparaît (décrit par Elena elle-même) comme un homme doux, subtil, vulnérable et d'autant plus envoûté par la force brute, les véhémentes embardées, l'essentielle virulence d'Elena.

image_indecentMais cette dernière a, pour le moins, d'étranges façons d'aimer. Des façons si singulières qu'elles conduiront le trop tendre Didac à sa perte. Abrupte, imprévisible, tranchante, elle exige dans la même proportion qu'elle refuse, plongeant Didac dans le chaudron du trouble et de la confusion perpétuels. Elle impose notamment des pratiques sexuelles insolites qui paraissent à Didac infamantes ou du moins qu'il ne peut satisfaire sans se faire violence. Le paroxysme est atteint un jour qu'Elena extorque à Didac qu'il la prenne en public d'une manière qui heurte profondément cet homme délicat. Cet épisode semble déclencher chez Didac un processus de détachement et cela bien qu'il soit amoureux fou d'Elena. Mais c'est quand même elle qui, finalement, et pour d'obscurs motifs, le congédiera.

Le narrateur fut l'ami de Didac et l'observateur privilégié de la ruine qu'il rappporte avec une évidente compassion. Et s'il succombe à son tour aux charmes d'Elena, il se gardera bien de jamais nourrir d'amour pour elle.

L'intérêt du récit réside dans l'approche, dans ce portrait de femme qui, insensiblement, se mue en portrait d'homme. Car c'est Didac qui surgit des décombres et impose sa présence entêtanRetrouvez également l'interview d' Emmanuel Ruben par Bénédicte Heim sur le podcast des Contrebandiers éditeurs.te.

Ce qui frappe, également, ce sont les similitudes autant que les contrastes entre l'histoire narrée par Elena et la version que livre Didac.

Elena parle avant Didac et c'est un procédé qui sème le trouble car la voix du bourreau s'élève avant celle de la victime et il en ressort qu'en dépit de toutes les preuves qui plaident en faveur de cette thèse, il n'est pas vrai qu'"Elena n'a pas aimé Didac, que c'est peut-être même tout le contraire. Si Elena est une redoutable énigme, Didac, dans son consentement forcené, ne l'est pas moins.

L'écriture, sèche comme un coup de cravache et dont le sourd lyrisme est condensé dans les non-dits, contribue à l'ambivalence des émotions, à l'apparente nudité d'une histoire dont les arrières-fonds sont abyssaux.

Et la fin touche au sublime autant qu'elle rend le texte entier indécidable.

BH 10/10

"L'amour pur" d'Agustina Izquierdo

image_izquierdo1gC'est un livre de folie et de sagesse profonde. Un livre à l'os où la chair est reine et muselée.

C'est une histoire à tordre l'âme dans un autrefois qui pourrait être maintenant et toujours, dans une Espagne qui pourrait être ici et ailleurs.

C'est l'universalité, la grande prodigalité de l'amour impossible condensé dans deux corps qui battent à l'unisson mais dont l'un fait en sorte et sans trêve que ce soit à contretemps.

Cela se passe en Espagne à une époque suffisamment reculée pour que la notion de péché soit encore opérante. Un beau jour, un nanti du nom de Don Oller surprend, au cours d'une déambulation dans les rues de Barcelone, un chant d'une pureté céleste s'échappant d'une mansarde vétuste. Don Oller, mélomane et subjugué, souhaite aussitôt posséder cette voix, avoir à demeure cette source surnaturelle. Le détenteur en est le père Guimerà, prêtre dénué, maigre, dépenaillé que le potentat installe sur-le-champ dans ses appartements. Le père Guimerà découvre et goûte, avec nombre de scrupules, la vie luxueuse. Il régale Don Oller et ses pairs de son chant.

Bien que vivant (sur ses voeux) retiré, il a de temps en temps à faire avec les domestiques, notamment avec les servantes dont l'une, Rina, provoquera en lui un choc électrique dès le premier contact.

Il s'agit d'une femme jeune, grande, massive, simple mais aussi taciturne et opaque qu'il l'est lui-même.

umage\izquierdo2gRina est une farouche, une sauvage, une majestueuse dans son genre obtus, une reine du silence. Le père Guimerà est un albatros, un poète à l'âme un peu gâtée par l'irrésolution et par des accès de méchanceté. Entre ces deux esseulés,  ces deux êtres sans appartenance, cela va battre tout de suite fort et fou.

Mais Rina est une femme de l'humus, de l'obscur et le père Guimerà n'aspire qu'à s'affranchir de ce qu'elle incarne. Ou du moins il s'imagine que ce sont là ses aspirations. Les deux se heurtent, se mesurent l'un à l'autre comme des âmes adverses mais leur corps qui savent n'ont que faire de ces vaines luttes, de ces dilapidations ineptes. Leurs corps consentent et se penchent.

La chair les brûle, la chair les prend. Ils se joignent en secret la nuit pour l'assouvir mais ils se retrouvent aussi, chastement, de jour, pour des moments suspendus où le père Guimerà musique à l'envi, présumant Rina incapable de goûter son art cependant qu'elle atteint à l'insu de son amant, une autre forme d'extase. Mais le père est naturellement frappé et même fendu par le sentiment de la faute. Il se flagelle, se mortifie, se confesse cent fois à un magnanime évêque français lequel cent fois l'absout...  Le pécheur et repentant intermittent ne se contente pas de se châtier, il inclut son amante dans ses pénitences, lui adresse des mots durs, la consigne, la proscrit, se soustrait à sa vue et à son désir.

Rina, elle, ne varie jamais : elle aime, se donne et patiente en silence. Jusqu'au bout, elle se tiendra, égale et droite, essuyant sans faiblir les orages, endurant les outrages, les éclipses, les ostracismes et les bannissements. Elle n'exhale pas une plainte, ne formule pas un reproche. L'amour en elle est invincible, il accueille tout avec une équanimité et une force d'âme royales. Le père Guimerà ne vit que de division, d'écartèlement : il présume que tout ce qui est consenti à l'amour humain est un prélèvement incompensable, est retiré d'autant à l'amour de Dieu, il oppose et retranche, ne conçoit pas qu'une même source puisse irriguer les deux amours. Rina, elle, est parfaitement unie, elle est d'une simplicité et d'une constance divines. L'amour en elle, malgré les traitements iniques dont elle est l'objet, jamais ne défaille. Et tout est dit dans une langue dont la pureté, elle non plus, n'est jamais prise en défaut.

Une exploration magistrale de cet astre noir qu'est le désir. Une plongée frémissante, ébouillantée.

Un poignant et superbe portrait de femme.

BH 10/10


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