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 Ophélie Jaësan par Livres-Addict.fr 

"Iceberg Memories" d'Ophélie Jaësan (Actes Sud)

image_jaesanOphélie Jaësan évolue sur un fil si ténu que c'est le souffle retenu et parfois coupé qu'on la suit, qu'on l'accompagne dans la crainte constante qu'elle ne se brise. Sa voix est murmurée, c'est un chuchotement frêle, une confidence sectionnée de partout et, en dépit de toute cette apparente fragilité, la violence amassée entre ces pages est extrême.

Ce qu'on entend s'égale d'abord  presque au silence. Un silence soudain zébré de vives lacérations. Des silhouettes floues, indécises se dessinent peu à peu, fines, légères, qui peinent à prendre corps. Fragments émergés, surgis bruts d'une mémoire fracturée, réminiscences transpersonnelles qui se jouent des frontières du temps et des corps.

Deux générations de femmes, vies lovées, recueillies les unes dans les autres. Vies qui résonnent, se répercutent les unes dans les autres. Deux fois deux enfances pétries de cauchemars, les unes directement, les autres par réfraction. Mona et Luisa, d'abord, en Argentine, Katia et Lisa ensuite, en France.

La réalité cauchemardesque, diurne des unes, se réverbère dans les cauchemars nocturnes et les paniques apparamment irraisonnées des autres. Il y a un entrelacement inextricable entre passé et présent, entre les générations entrechoquées, femmes et filles soumises à des chocs d'une violence inouïe, les unes par impact direct, les autres par effet retour.

Il est question de terreur et de tortures, invasives, qui remontent, comme des eaux, irrépressibles dans le corps. Le corps des enfants est le réceptacle, la chambre d'écho impuissante mais sonore des horreurs subies par les parents. Longtemps pourtant, les petites filles, les adolescentes ne savent pas pourquoi, ni de quoi elles souffrent. Katia ignore pourquoi la terreur cogne à ses tempes et dans ses veines de même que Lisa ne comprend pas pourquoi elle est talonnée par ce besoin de fuite impérative.

Elles savent uniquement que Mona et Alberto, leurs parents, ont  fui l'Argentine sinistrée pour gagner la France. Mais Mona sait que sa mémoire défaille, que l'oubli déferlant va bientôt tout recouvrir et elle se hâte alors, tâchant de transmettre, de verbaliser l'indicible héritage.

C'est un livre sur les flux aveugles de la mémoire, sur le trajet cellulaire de la souffrance qui traverse, transperce les parois temporelles et corporelles. Tout transpire et se communique par capillarité.

On ne peut pas dire que le récit soit elliptique : il est troué de partout. Ce sont de fines grappes, de minces cordages et colliers de mots qui émergent de l'abîme, qui encadrent le silence et l'horreur inscrutables.

Les parents ont été brisés, les filles sont démantelées mais les mots, peu à peu, pansent et recousent ce qui peut l'être.

Ophélie Jaësan explore, avec une délicatesse et un doigté infinis, ce mystère : la façon dont la douleur transite de corps en corps, la façon dont les mots viennent au corps et montent aux lèvres de ceux qui furent si longtemps bâillonnés.

Un livre précieux.

BH 12/09

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