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 Joan Didion par Livres-Addict.fr 

 

"Maria avec et sans rien" de Joan Didion (Robert Laffont)

mariadidionC'est un roman écrit à la machette doublé d'un récit de givre : émotions et sensations semblent gelées aussitôt que surgies et énoncées. L'héroïne est une jeune femme prénommée Maria et d'elle on apprendra pas grand-chose sinon incidemment et comme par accident. Pas la moindre notation psychologique. Rien que des faits, de courtes séquences syncopées.

Ca commence par la fin. Maria est hospitalisée, manifestement internée, accusée d'avoir commis un meurtre sur la personne d'un énigmatique BZ dont l'identité ne sera jamais vraiment précisée.

Puis la narration s'attache à restituer, par éclats successifs, les épisodes qui menèrent à cette fâcheuse conclusion. Le procédé est cinématographique ou cubiste : des scènes sans lieu apparent sont juxtaposées et le sens ne se dégage que graduellement, par contamination et recoupements, les transitions ont été coupées au montage.

On suit Maria qui dérive dans une Amérique toute de déserts qui font écho à sa propre vacuité. Maria entretient des rapports censément amoureux mais essentiellement cruels avec plusieurs hommes qui gravitent tous plus ou moins dans le milieu du cinéma. Elle-même est une actrice ratée et elle s'applique à saborder les dernières opportunités qui s'offrent à elle.

Maria est mère d'une petite Kate qui végète dans un asile psychiatrique. De temps en temps, elle va lui rendre visite. De temps en temps, elle rêve pour elles deux d'une vie édénique, toute empoissée de sucre et d'amour.

Maria se fait avorter et connaît des complications physiologiques et surtout psychiques. Maria se heurte à des difficultés pour faire renouveler son ordonnance de barbituriques. 

Maria a une amie, Hélène, qui la poignarde dans le dos et même de face.

Maria gagne en transparence. Elle ne cesse de perdre du poids. A la fin, elle avoisine les 37 kg. Son corps manifeste son effacement du monde.

Maria bourlingue. Elle s'abîme dans des lieux aussi désaffectés qu'elle. Elle va de motel en motel. Elle n'y fait rien. Elle va de torpeur en hébétude. Chaque fois, elle est un peu plus avalée par le vide. Sa vie consiste à se fondre dans le rien, sa vie est un apprentissage du néant, savoir ou compétence qu'elle revendique.

Tout cela est écrit, décrit dans un style chirurgical, comme figé dans la lumière crue d'un projecteur implacable. Maria est un petit animal tétanisé, pris dans des jeux mortifères, soumis à la lumière des phares qui l'annulent.

On ne peut plus clairement pulvériser le rêve américaon. C'est saisissant. Il y a là une absence totale d'affect qui relève de la prouesse littéraire. Quand on sait, en outre, que ce texte a été écrit en 1970, on est soufflé.

 Cela reste frappant, s'une extrême modernité aujourd'hui, c'était carrément visionnaire à l'époque.

On cesse de nous marteler qu'il s'agit d'un roman-culte, que Bret Easton Ellis, Jay McInerney et Donna Tartt se réclament de Joan Didion mais c'est le seul Ellis qu'on retrouve pareille audace stylistique, une prose aussi glaçante et un tel degré de cruauté. Si ce n'est que l'humour dévastateurd'Ellis brille ici par son absence ...

BH 10/07

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