Livres-Addict.fr

 AccueilLivres | Films | Expositions | Sites internet

 Pauline Klein par Livres-Addict.fr

"Fermer l’œil de la nuit" de Pauline Klein (Allia)

 

C’est un éclat de rire déguisé en pure candeur. Une souriante et parfois cinglante ironie qui prend des allures de vaporeuse ritournelle.

C’est une ironie enlevée, suspendue, un humour à froid, avec des ellipses, un humour tout troué d’ellipses comme on retient un souffle.

C’est aussi une souriante et parfois riante expérience. Car Pauline Klein va loin dans le dynamitage ludique : elle se joue des codes au sein de ces mêmes codes, elle déroule des écheveaux qu’elle cisaille à mesure, elle se délecte à se faire Parque des vies qu’elle tisse.

Elle nous présente une figure de jeune fille, jeune ingénue qui, pour autant, n’est pas exempte de perfidie. Cette jeune personne, qui est aussi la narratrice, est de nature floue. Elle ne s’identifie et n’existe qu’en s’appropriant voire en confisquant l’identité des autres.

Elle commence pour investir un appartement à partir duquel (grâce à un œil-de-bœuf spécialement performant !) elle épie assidûment ses voisins, un couple a priori rutilant. Il s’agit de deux artistes dont le dessein principal semble être de se mettre en scène, de se donner en spectacle comme si leur vie entière consistait en une performance ininterrompue. Les noms dont ils sont affublés relèvent déjà de l’outrecuidance, de la plus flagrante supercherie. Lui, artiste contemporain autoproclamé, se fait appeler Claude Tissien et elle, romancière déjantée, répond au nom de Diane Toth (contraction de Tentative d’Oubli des Terres Hostiles) et ils se sont rencontrés dans une agence Pôle Emploi lors d’une « expérience romanesque » menée par Diane.

Claude Tissien s’illustre dans l’art d’opérer sur les cadavres puis sur le chair crue et à un degré plus que baconien car il se veut hautement subversif.

La narratrice observe ce couple improbable, partagée entre la fascination, le dégoût, la perplexité et un froid détachement. Peu à peu, elle s’immisce dans leur vie, elle s’amuse par exemple à trafiquer la page Wikipédia consacrée à Claude et elle ira jusqu’à entrer, significativement, en contact avec lui. De même, elle s'improvisera et s'intronisera témoin privilégié du délitement quasiment programmé qui affecte ce couple spectaculaire.

Simultanément, elle se dégotte un prétendu demi-frère, malfrat, incarcéré, avec qui elle entre en relation épistolaire. Sur qui elle se projette et à qui elle s'identifie, là aussi, outrément.

Cette fantasque et spéculaire odyssée intérieure fait fi de toutes les cloisons et conventions, elle nous balade allègrement entre différentes strates et, presque imperceptiblement, entre divers états de conscience. On oscille, on bascule, on se laisse doucement chahuter, un peu comme si on expérimentait graduellement des états de conscience modifiés. Très vite, on ne sait plus qui manipule qui ni qui invente qui ou quoi.

C’est une satire pétillante et facétieuse sur les outrances qui ont cours dans le monde de l’art contemporain. C’est aussi une fable légère et incisive sur les ressorts de la fabulation.

C’est surtout une formidable et jubilatoire ode à la création libre, aérienne, affranchie de toutes les pesanteurs.

BH 12/12

              

   © Livres-Addict.fr - Tous droits réservés                                                                                                          | Accueil | Contact |